Le Mont Chaambi ! L’endroit le plus
redouté de toute la Tunisie. L’endroit qui s’associe depuis des mois à la mort,
au « terrorisme » passe son premier hiver sous les bombardements
militaires et les patrouilles régulières des forces spéciales de lutte contre
le terrorisme. Entre temps, Kasserine : la ville, les gens et l’histoire
changent au dépend de la nouvelle connotation « terroriste ». Le
changement passe rapide mais aussi inaperçu par la majorité des tunisiens et
les autorités.
A quelques mètres de Chaambi, des
petites maisons éparpillées sur les plaines qui entourent le mont. Ici, il fait
froid, silencieux et glauque. Malgré la beauté de mère nature, la verdure des
oliviers et la fraîcheur de l’air, quelque chose de tendue, d’incroyablement
triste plane dans l’atmosphère. Devant une petite maison, une jeune femme,
quelques moutons et deux chiens nous accueillent. La famille de la jeune
« Noura » est dans une des chambres réunie autour d’un mince foyer de feu de bois. Ils
sont neuf dans la famille : les parents, les enfants et deux oncles avec
leurs femmes. Ils partagent tous deux chambres et une grande misère. Les femmes
au chômage, les hommes alternent entre des travaux d’agriculture et de
construction, n’arrivent visiblement pas à subsister aux nécessités de la vie.
Sans eau,ni électricité et ni éducation, ils sont depuis toujours presque
coupés de la Tunisie. Ici, on parle d’alcool (pour se réchauffer) comme on
parle de religion. Ici, on parle aussi de politique avec un énorme « Ils »
pour désigner ceux au pouvoir qui « sont tous pareils et qui n’ont rien
changé depuis les beys. »
Cette famille, comme plusieurs, a toujours
vécu dans la montagne. Leurs allers- retours étaient fréquents au point que les
plus vieux connaissaient le moindre détail de la complexité géographique qui
les entoure. Depuis plus de 7 mois, le
mont Chaambi est classé inaccessible pour ses amis. Pire encore, ces
spécialistes de Chaambi n’ont été à aucun moment approché par les militaires
pour des renseignements. « J’hallucine quand je vois les militaires piégés
par les terroristes alors que les gens ici connaissent le terrain… nous savons
tout sur la montagne. Les grottes qui datent des romains, les tunnels
construits par les italiens et les français au moment de l’exploitation minière
de la plombe. » affirme Ali, père de la famille. Lui, il se bat tous
les jours avec les gardes de forestiers qui leur interdisent l’accès à la montagne
pour récupérer du bois.
« Le terrorisme existe à chaambi,
si non, pourquoi les militaires font des bombardements réguliers et pourquoi
ils l’encerclent. Mais nous n’avons jamais vu de terroristes ni de loin, ni de
près ». nous explique la maman. Le problème de ces villageois est qu’ils
sont parfois traités de terroristes. C’est ce que nous a confirmé Ali « un
des gardes forestiers me l’a dit un jour devant des soldats ! Qui d’autres
à part vous ont vu les terroristes défilaient un à un à la montagne !...
c’est qu’il m’a dit en oubliant que garder la montagne est son travail. Et en
oubliant que les armes ont passé les frontières devant les yeux des
autorités. » Quel est, donc, le crime de ces gens, si ce n’’est le
destin qui les a associé depuis des lustres à Chaambi.
Par habitude, les villageois continuent
à assumer leur sort. Dans un monde où la pauvreté est devenue un crime, ces
marginaux continuent à s’adapter avec la nouvelle accusation ou encore cette
nouvelle identité de « potentiel terroriste ». « Ceci n’est pas
un souci. Le vrai cauchemar serait une intervention militaire étrangère »
avouent Ali et sa femme.
Dans la ville, de Kasserine, l’ambiance
est toujours la même. Une dépression générale s’empare de la ville depuis des
années. Cette attitude qui empêche les kasserinois de faire la fête, d’oublier
la misère et d’espérer un futur meilleur est devenue presque héréditaire. Une
impossible amnésie en dehors des bars ouverts même le matin de ce destin fatal.
Rabii Gharsalli, 31 ans, journaliste citoyen, nous parle longuement de cette
autre facette de terrorisme. « Que sera le destin des centaines d’enfants
de poubelles et des bidonvilles? Si ça ne sera pas le terrorisme, ça
sera certainement la délinquance. » Nous confit Rabii sans vouloir
justifier les recrutements récents d’Annsar Al Chariaa à Chammbi.
En fait, les jeunes kasserinois recrutés
depuis des mois par le terrorisme sont en majorité des lycéens. Ils sont
brillants dans les études et viennent des quartiers les plus démunis de la
ville ou encore de la Tunisie. Cité zouhour, cité Nour et leurs périphéries
sont les fiefs du salafisme jihadiste. Après qu’ils étaient les origines
d’une révolte populaire, ces quartiers sont devenus les origines de la contre
révolution. Anwer Nsibi, jeune de 17 ans, disparu dans les grottes de Chaambi
depuis 7 mois, venait d’envoyer un message à ses parents « je vous
aime ! Pardonnez ce que je vais faire dans les prochains jours ». Son
cousin, Mohammed Ali Nessibi, acutellement arrêté par la brigade anti
terroriste, était le porteur de message.
Sa famille fait un embargo sur la famille de « terroriste » et
du père qui aurait balancé le cousin soupçonné de collaborer avec Anwer. Dans
le salon de la famille d’Anwer, la mère pleurait en essayant de se justifier
« je ne savais pas qu’il partait à Chaambi. Comment ça se fait qu’il parte
alors que tout allait bien ici … » disait la mère. Après un premier refus
de nous voir, Hleili, père d’Anwer a accepté de témoigner « j’ai
l’impression parfois que cette histoire de terrorisme à Chaambi est fabriquée
de toute pièce. S’il existe vraiment des terroristes, qu’ils nous laissent
aller les confronter… j’rai avec plaisir pour mon pays. J’irai avec un bâton,
une pierre, peu n’importe. »
interview avec les parents d'Anwer Nsibi (lien youtube: image de Bruno Giuliani)
La famille est suivie par tout le monde.
Les voisins, les cousins qui les accusent de balancer les autres jeunes du
quartier et la police qui les soupçonne de cacher des informations sur le fils
devenu très récemment jihadiste. Au delà
de cette crise dont la famille souffre, le manque de communication et de suivie
de l’adolescent Anwer leur a couté cher. Cet adolescent avait commis l’erreur
de fréquenter la mosquée de Rahma, dirigée par les salafistes les plus radicaux
de Kasserine. « Les bombardements, les menaces et la prison ne seront
jamais une solution. C’est des gamins ! L’Etat en est responsable !
Si jamais l’Etat promet une réintégration sociale à mon fils et ses semblables,
je suis certains qu’ils reviendront. Ici la vie, le minimum de dignité et
d’espoir… qu’est ce qu’ils les oblige de rester là où tout le monde est parti
même les animaux… » Explique Hleili
avec beaucoup d’énervement mais aussi d’ignorance du fait que son fils et ses
camarades sont considérés depuis des mois comme ennemies de la nation.
C’est justement ces ennemies,
invisibles, qui condamnent la montagne et toute une ville au sort fatale du terrorisme.
En oubliant, petit à petit, le visage humain de Chaambi, tout le monde et principalement le système prend l’habitude de banaliser les dommages
collatéraux qui nourrissent directement ou indirectement les racines de la
problématique : la pauvreté. Rabbi Gharsalli, continue à nous accompagner
à travers la ville. L’une de nos balades nous a emmené à une vue panoramique
sur Chaambi et les deux montagnes qui l’entourent. Rabii travaille, souvent,
des reportages sur les villageois et les pauvres de Kasserine. Depuis trois
ans, il a lancé une page facebook, la plus connue dans la ville dans laquelle
il expose les nouveautés de la ville oubliée par le reste du monde. Cette porte
parole locale des misères kasserinoises, était plusieurs fois arrêtées par les
autorités. « On m’interdit de filmer et de parler de Chaambi »
explique Rabii. Vis-à-vis de plusieurs journalistes étrangers, le jeune
journaliste autodidacte regrette que « la majorité écrasante des médias
étrangers et nationaux ne parlent que de terrorisme à Kasserine. Ils restent
silencieux devant la pauvreté, la vraie source du mal… et n’essayent pas de
comprendre ou d’aller plus loin dans
l’analyse… » Mais comment faire alors ? Sans trop savoir comment s’y
prendre à cette nouvelle situation, Rabii, garde seulement cette
certitude « Chaambi a une autre histoire à raconter.. il a un autre
visage différent du terrorisme. Mon devoir est de révéler au monde entier cette
vérité. »
Rabii Gharssali
Rabbi, ce jeune kasserinois, a vu son
ami intime tué à côté de lui lors d’une manifestation le 9 janvier 2011. Pour
lui, les vérités sont proportionnées. Le terrorisme est à Chaambi mais Chaambi
n’est pas terroriste. « Les autorités ne disent pas toujours la vérité. Il
y a trois ans, ils ont tué nos frères en les traitants de terroristes» Confus
et angoissé, le jeune ne peut pas tout dire à des journalistes. La semaine
dernière, il est passé sur une chaine française à visage découvert dans un
reportage sur les salafistes. Ce passage lui a couté plusieurs jours de
problèmes et de menaces dans la ville. Comme les villageois, son image est
associée à celle des terroristes.
Rabii et plusieurs autres citoyens à
Kasserine voulaient nous parler de ce qu’ils voient dans leur ville. Mais ils
ne pouvaient pas. Les témoignages étaient ponctués systématiquement par des
silences de peur et d’incertitude. Des silences accompagnés par des regards
chargés de haine et de méfiance. Tout au long de notre séjour, nous étions
suivis par des individus nommés « police civile » qui nous ont fait
comprendre que le temps de l’angoisse est de retour à Kasserine et en Tunisie.
Crédit photo : Bruno Giuliani