(Dans le cadre d’une série de reportages pour France Culture, nous avons eu la chance d’avoir une autorisation pour visiter l’une des plus calmes prisons en Tunisie, la prison de Siliana)
C’était un jeudi. Il pleuvait. Nous étions deux filles devant la prison à quelques kilomètres de la ville. Elle était petite et peinte aux couleurs de Sidi Bou said. Le bâtiment avait l’air bien de l’extérieur. Mais mon cœur battait la chamade et j’avais un sentiment de malaise. Après quelques secondes devant le grand portail en bleu, un déclic de l’intérieur a ouvert une petite porte. Un gardien nous a annoncé que le directeur nous attendait déjà …
On arrive ainsi dans une petite cour et un déclic a ouvert la deuxième porte : nous voilà dans la prison. Le gardien a frappé à une porte et nous a fait entrer. Dans un bureau, chic et simple, un jeune homme souriant en uniforme bleu foncé, nous a accueillis très chaleureusement. « Je suis le nouveau directeur de la prison … vous êtes les bienvenues ». Premier reflexe du Monsieur le directeur : fermer la porte du bureau à clé. J’étais surprise et gênée … mais finalement j’ai compris la raison de ma peur : nous sommes dans le royaume des portes et des clés… tout est fermé à clé, les couloirs, les parloirs, l’infirmerie, les salles des cours, les cellules et même les bureaux … et c’est justement ça qui nous fait peur , même si on savait qu’on ne va rester que quelques heures…
Durant les 15 minutes de l’accueil, le directeur nous a expliqué qu’il a pris la direction de la prison au début de cette année et que les choses vont bien sous sa direction sauf quelques petits incidents survenus du 14 au 17 janvier.
Nous avons commencé la visite. Les matons ont ouvert la grande porte qui sépare l’administration des cellules. Nous avons traversé un grand couloir puis une autre porte qui mène au premier département. (La prison contient trois départements, chacun renferme deux ou trois cellules. Un quatrième petit département est disciplinaire. Il compte deux petites cellules).
Dans les couloirs, le directeur nous a expliqué qu’un des trois départements est fermé « En fait, après le 14 janvier nous avons décidé de dispatcher les prisonniers sur deux départements assez sécurisés le temps pour nous de munir le troisième département par un meilleur système sécuritaire ».
Le maton ouvre la porte du premier dortoir. Une cinquantaine de personnes entassées dans une petite cellule d’une vingtaine de lits. En les regardant, je n’avais rien en tête sauf une seule question « qui sont ces hommes ? ». Je n’avais nullement envie d’avoir une réponse détaillée mais j’avais plutôt envie de m’assurer qu’ils sont des êtres humains comme nous …
Le directeur nous a présentées aux détenus. Ils étaient silencieux, collés aux murs, retirés … dans les yeux, j’ai vu l’inquiétude, la tristesse, la peur, l’angoisse et le vide… j’avais peur qu’ils refusent de parler. Le silence, la tension et les regards braqués sur nous, nous ont obligées de parler très doucement. « Bonjour ! Ça va ? » j’ai chuchoté. « Bonjour ! Oui … non … je ne peux rien vous dire … maintenant ! » Murmure un jeune homme en me regardant timidement et en jetant un coup d’œil sur la bande des matons qui n’est pas loin de nous.
Nous avons fait les premières interviews en chuchotant. Les prisonniers n’avaient pas l’audace (et même nous) de parler à haute voix. Ils ont parlé des conditions misérables de la prison. Ils ont parlé de la violence, de la torture et de l’attente… « Nous attendons l’amnistie générale que le ministre de la justice a annoncé à la télévision, il y a deux semaines ». Chacun voulait parler de son cas, de son histoire… mais tous avaient une seule demande : l’amnistie générale. Après une demie heure d’interviews, un jeune homme, costaud, le regard humilié et naïf, a commencé par dire « je suis fatigué, j’en peux plus … je suis ici pour consommation de drogue. J’y suis depuis 10 ans. J’étais jugé à l’âge de 18 ans, aujourd’hui j’ai 28 ans … j’ai perdu ma jeunesse à cette prison… » En traduisant ses paroles, les mots m’ont étouffé, et j’ai pas pu retenir mes larmes … je n’étais pas la seule qui pleurait dans la cellule …
Dans chaque cellule, il y avait une cinquantaine de personnes, une télévision, seulement deux toilettes, et deux lavabos. Il y avait uniquement dix douches dans toute la prison. « Chaque prisonnier a le droit à une douche, en moins, par semaine » nous a déclaré le directeur fièrement. Ils prennent leurs douches à tour de rôle, par dix personnes. Les douches étaient sales et vielles. Il n’y avait qu’un seul petit miroir pour se raser…
Les prisonniers avaient l’air fragile, triste, déprimé et désespéré. La majorité écrasante était inculpée pour une affaire de drogue. Ils sont des petits trafiquants ou des consommateurs de drogue douce « zatla ». « Nous n’avons rien fait, c’est le clan trabelsi qui gère le commerce de la drogue dans le pays. Pourquoi c’est nous qui paye le prix ? Nous devons bénéficier de l’amnistie générale et réintégrer la société … » nous a dit l’un des prisonniers. « La loi de Ben Ali ne juge que les pauvres … et elle épargne les riches. Le juge m’a ignoré quand je lui ai dit que j’étais agressé par la police … ils sont tous corrompus» a expliqué un autre. « Dans l’interrogatoire qu’on m’a fait, j’ai précisé que la marchandise (drogue) que j’ai vendu est celle des Trabelsi… tu sais, c’était quoi la réaction de la police ? Ils m’ont torturé et m’ont menacé de mort si je redis ça … » Témoigne un autre. Bien qu’ils ne soient pas innocents, ces hommes sont, certainement, les victimes d'un régime corrompu et vicieux …
Après la visite (qui a duré, presque deux heures dans les cellules) le directeur de la prison nous a confié, que ses prisonniers méritent l’amnistie générale. « Nous n’avons pas des grands criminels. En plus, les punitions ne sont pas en adéquations avec les délits… le ministère de la justice doit revoir plusieurs dossiers … Il doit honorer ses promesses d'amnistie générale!» explique le directeur avec un air de sincérité, pour la première fois durant la visite.
En sortant de la prison, j’avais en tête une seule idée « ces gens sont privés de la liberté parce qu’ils sont pauvres ! Parce qu’ils n’ont eu ni éducation, ni enseignement, ni emplois ! Parce qu’ils ont grandi dans des quartiers populaires, là où il y a rien sauf la rue … là où il n’y avait ni bibliothèque, ni maison de culture, ni théâtre, ni cinéma, ni même salle de jeux… là où il n’y avait qu’un seul moyen de loisir, la drogue ou l’alcool … pour oublier »...
Nous avons rebroussé chemin, en gardant le silence. Un silence terrifiant sur la prison et ses hommes… sur les sentiments, les douleurs, les espoirs et le vide … un silence qui tue ; inspiré des murs et des regards que nous avons vu ….
Un article qui triture et torture les neurones...fort et poignant...je me demande alors que faire? De quel côté pencher? Bravo pr ce témoignange
RépondreSupprimermerci lallouta! il faut s'activer dans des associations et avec des juristes et des avocats ... la société civile est le seul moyen pour lutter ...
RépondreSupprimerBon article. j'aurais aimé trouver plus de témoignages. C'est vrai qu'il doit y avoir un nouveau début pour tous les tunisiens, y compris ces détenus, et surtout s'ils sont innocents ou trompés.
RépondreSupprimerHendoud je te félicite pour cet article je suis certain que votre reportage sera une réussite
RépondreSupprimerle clan des Trabelsi a foutu plein de gens en prison pour rien c'est le temps ou jamais de leurs donner leurs droits
Bravo Henda pour cet article émouvant et passionnant... Je découvre que beaucoup de gens sont emprisonnés pour des faits mineurs. J'espère l'amnistie pour tous ceux là et surtout qu'ils soient remplacés par les vrais responsables des trafics...
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