Difficile de raconter
ma rencontre avec Jabeur Mejri. Difficile de vous décrire le sentiment de voir,
finalement, la personne qui, depuis deux ans, j’écris son nom, des dizaines de
fois, chaque jour et je répète mentalement ou à haute voix son histoire sans
cesse.
#FreeJabeur
#FreeJabeur #FreeJabeur … Une répétition persévérante, assidue, parfois calme et parfois révoltée,
meuble une grande partie de ma vie et celle d'une dizaine de personnes au tour du monde. Depuis plusieurs mois, la machine « #FreeJabeur »
m’habite de plus en plus … jusqu’aujourd’hui … peut être aussi pour les mois
prochains ou pour quelques jours si tout ira bien.
Quand j’ai révélé (moi
et Olfa Riahi) l’affaire des deux athées de Mahdia, et quand j’ai commencé à l’aide
de quelques amis à soutenir Jabeur et à bosser sur sa libération, j’ai toujours
pensé à ce moment de rencontre avec Jabeur. Comment il parle ? Comment il
pense ? Que cache-t-il derrière le seul sourire qu’on a de lui ? Qu’est
ce qu’il a envie de faire ou de dire ? Reste t-il un peu de Jabeur dont sa
sœur et Ghazi m’ont parlé ?
Devant la prison de
Mahdia, jusqu’à la dernière minute, je ne savais pas que j’allais rentrer vu
que mon nom ne figure pas sur la liste nominative dédiée à la délégation de
Fédération Internationale des Droits de l’Homme. Devant la prison, Bochra Ben
Hamida, première avocate qui accepte, il y a deux ans, de prendre en charge le
dossier des deux athées de Mahdia, me prend par la main et force le directeur
de la prison à m’accepter parmi le groupe. Quelques instants après, nous étions
dans le salon du directeur de la prison. Les battements de mon cœur s’accélèrent !
Dans quelques instants, le nom et la photo de Jabeur prendront forme dans un
être humain différent et indépendant de toutes les idées imaginaires que j’ai
de lui …. Serais-je déçue ou ravie de découvrir la vraie personne ? Dois-je
réellement poser ce genre de questions ? Je m’autocensure en me répétant :
L’important est qu’il va bien ! Le plus important est sa libération !
Jabeur rentre dans la
pièce, le regard perdu entre les
plusieurs invités pressés à lui serrer la main, tous à la fois. Il prend place
et échange le même sourire frustré qu’il reçoit des visages inconnus qui l’entourent.
L’air fatigué, Jabeur répond d’une manière standard aux questions : oui,
je mange bien, oui je dors bien, oui je vais bien … les premières minutes n’étaient
pas évidentes pour lui. Petit à petit, il s’habitue et prend part de la
discussion.
Après quelques
échanges, Jabeur commence à raconter sa vie dans la prison. Malgré sa petite
difficulté de parler, Jabeur explique sa situation de prisonnier d’opinion dans
une prison de droit commun « certains comprennent ma situation
(différence) et d’autres essayent de m’intimider en me lançant des injures et
menaces… je ne reçois plus les lettres que vous envoyez mais la famille me
parle de votre soutien … »
Dans sa cellule, Jabeur
a droit à trois chaînes de télévision (Hannibal et les deux nationales), à quelques
journaux et à ses calmants qui l’aident à dormir. « Arrêter de penser …
avoir des moments de repos … c’est tout ce que je cherche ». Pour arriver
à se détendre et se calmer, Jabeur n’a pas d’autres choix. Il prend plusieurs
médicaments le matin, l’après midi et le soir. Petit à petit, ces calmants lui
causent une difficulté de parler, de
marcher, de faire du sport et de dormir naturellement. En prison, on ne vit pas !
On survit et encore … on s’estime heureux d’avoir survécu.
Comme tout prisonnier Jabeur
ne pense pas à autre chose qu’à s’en sortir avec le moins de dégâts possibles. « Ma
liberté ! Ma liberté ! » Calmement il le réclame et tristement il confirme : « Je ne pourrais
pas avoir ma liberté en Tunisie. Faut que je quitte mon pays ». La police a emmené Jabeur un certain 5 mars
2012 au poste de police sous prétexte de le protéger des salafistes qui
voulaient à l’époque l’égorger … deux ans après son procès inique, le président
de la République prétend le garder toujours en prison sous le même prétexte « le
protéger ».
Mourir ou quitter ?
Jabeur a fait son choix et il a accepté l’exil à l’intérieur de lui-même et loin
de la Tunisie. Sa liberté n’est pas possible dans son pays. En dehors des murs
de sa cellule, il y a des matons partout, … à quoi bon sert d’aller d’une prison à une
autre plus grande?!
Au cours de notre
brève rencontre, Jabeur a répondu à mes questions. Et j’ai pensé en le
regardant que Jabeur Mejri n’est pas un mythe ou un mensonge. Il est vrai !
il est ordinaire, simple et vrai sans discours militant ni mesquinerie ni héroïsme !
Jabeur Mejri connait bien le Jabeur que j’ai défendu durant ces plusieurs mois !
S’il était avec nous, il aurait fait les mêmes choix #FreeJabeur! il
aurait fait les mêmes dessins, les mêmes articles, il aurait fait le même choix
de logo (noir et rouge), les mêmes sit in et les mêmes interviews et vidéos …
et parfois il aurait fait les mêmes silences ou lancer les mêmes insultes !
Jabeur nous connait et nous ressemble. Jabeur
est quelqu’un de nous …