mercredi 22 janvier 2014

Témoignage – visite à Jabeur Mejri dans la prison (Mahdia - 22 janvier 2014)

Difficile de raconter ma rencontre avec Jabeur Mejri. Difficile de vous décrire le sentiment de voir, finalement, la personne qui, depuis deux ans, j’écris son nom, des dizaines de fois, chaque jour et je répète mentalement ou à haute voix son histoire sans cesse. 

#FreeJabeur #FreeJabeur #FreeJabeur … Une répétition persévérante,  assidue, parfois calme et parfois révoltée, meuble une grande partie de ma vie et celle d'une dizaine de personnes au tour du monde. Depuis plusieurs mois, la machine « #FreeJabeur » m’habite de plus en plus … jusqu’aujourd’hui … peut être aussi pour les mois prochains ou pour quelques jours si tout ira bien.  



Quand j’ai révélé (moi et Olfa Riahi) l’affaire des deux athées de Mahdia, et quand j’ai commencé à l’aide de quelques amis à soutenir Jabeur et à bosser sur sa libération, j’ai toujours pensé à ce moment de rencontre avec Jabeur. Comment il parle ? Comment il pense ? Que cache-t-il derrière le seul sourire qu’on a de lui ? Qu’est ce qu’il a envie de faire ou de dire ? Reste t-il un peu de Jabeur dont sa sœur et Ghazi m’ont parlé ?

Devant la prison de Mahdia, jusqu’à la dernière minute, je ne savais pas que j’allais rentrer vu que mon nom ne figure pas sur la liste nominative dédiée à la délégation de Fédération Internationale des Droits de l’Homme. Devant la prison, Bochra Ben Hamida, première avocate qui accepte, il y a deux ans, de prendre en charge le dossier des deux athées de Mahdia, me prend par la main et force le directeur de la prison à m’accepter parmi le groupe. Quelques instants après, nous étions dans le salon du directeur de la prison. Les battements de mon cœur s’accélèrent ! Dans quelques instants, le nom et la photo de Jabeur prendront forme dans un être humain différent et indépendant de toutes les idées imaginaires que j’ai de lui …. Serais-je déçue ou ravie de découvrir la vraie personne ? Dois-je réellement poser ce genre de questions ? Je m’autocensure en me répétant : L’important est qu’il va bien ! Le plus important est sa libération !

Jabeur rentre dans la pièce, le regard  perdu entre les plusieurs invités pressés à lui serrer la main, tous à la fois. Il prend place et échange le même sourire frustré qu’il reçoit des visages inconnus qui l’entourent. L’air fatigué, Jabeur répond d’une manière standard aux questions : oui, je mange bien, oui je dors bien, oui je vais bien … les premières minutes n’étaient pas évidentes pour lui. Petit à petit, il s’habitue et prend part de la discussion.

Après quelques échanges, Jabeur commence à raconter sa vie dans la prison. Malgré sa petite difficulté de parler, Jabeur explique sa situation de prisonnier d’opinion dans une prison de droit commun « certains comprennent ma situation (différence) et d’autres essayent de m’intimider en me lançant des injures et menaces… je ne reçois plus les lettres que vous envoyez mais la famille me parle de votre soutien … »

Dans sa cellule, Jabeur a droit à trois chaînes de télévision (Hannibal et les deux nationales), à quelques journaux et à ses calmants qui l’aident à dormir. « Arrêter de penser … avoir des moments de repos … c’est tout ce que je cherche ». Pour arriver à se détendre et se calmer, Jabeur n’a pas d’autres choix. Il prend plusieurs médicaments le matin, l’après midi et le soir. Petit à petit, ces calmants lui causent  une difficulté de parler, de marcher, de faire du sport et de dormir naturellement. En prison, on ne vit pas ! On survit et encore … on s’estime heureux d’avoir survécu.

Comme tout prisonnier Jabeur ne pense pas à autre chose qu’à s’en sortir avec le moins de dégâts possibles. « Ma liberté ! Ma liberté ! » Calmement il le réclame et  tristement il confirme : « Je ne pourrais pas avoir ma liberté en Tunisie. Faut que je quitte mon pays ».  La police a emmené Jabeur un certain 5 mars 2012 au poste de police sous prétexte de le protéger des salafistes qui voulaient à l’époque l’égorger … deux ans après son procès inique, le président de la République prétend le garder toujours en prison sous le même prétexte « le protéger ».

Mourir ou quitter ? Jabeur a fait son choix et il a accepté l’exil à l’intérieur de lui-même et loin de la Tunisie. Sa liberté n’est pas possible dans son pays. En dehors des murs de sa cellule, il y a des matons partout,  … à quoi bon sert d’aller d’une prison à une autre plus grande?!

Au cours de notre brève rencontre, Jabeur a répondu à mes questions. Et j’ai pensé en le regardant que Jabeur Mejri n’est pas un mythe ou un mensonge. Il est vrai ! il est ordinaire, simple et vrai sans discours militant ni mesquinerie ni héroïsme ! Jabeur Mejri connait bien le Jabeur que j’ai défendu durant ces plusieurs mois ! S’il était avec nous, il aurait fait les mêmes choix #FreeJabeur! il aurait fait les mêmes dessins, les mêmes articles, il aurait fait le même choix de logo (noir et rouge), les mêmes sit in et les mêmes interviews et vidéos … et parfois il aurait fait les mêmes silences ou lancer les mêmes insultes ! 
 Jabeur nous connait et nous ressemble. Jabeur est quelqu’un de nous …