mardi 25 septembre 2012

Hommage à Alain Joannès : l’ami et le maitre.


J’aurais aimé faire son deuil comme il le faut. J’aurais aimé hurler, crier et pleurer au moment qu’on m’a annoncé sa mort. J’aurais aimé pleurer avec sa famille, préparer les funérailles et arranger les fleurs sur sa tombe. J’aurais aimé revoir dans les yeux de son fils, sa jeunesse qu’il m’a tant décris et qui m’a tant fait rêver.

Hélas ! toute seule, je ne suis pas à Paris pour faire tout ça. Je suis, à Tunis, dans un café, entourée des gens inconnus, indifférents à mes larmes et ma perte. J’aurais aimé que la terre arrête de tourner juste comme un signe de respect à ma douleur. J’aurais aimé que le café perde sa senteur comme un signe de soumissions à ma colère. Mais, ici, tout est indifférent à mes maux. Le ciel est resté bleu, le soleil brille encore et les oiseaux chantent joyeusement malgré ma peine.

La dernière fois, quand je l’ai vu, j’ai renoncé à faire des adieux. Pourtant, tout me disait que c’était la fin ou presque. J’étais à Paris, et j’ai vu comment son état de santé s’est détérioré subitement, du jour au lendemain.


Une journée avant mon départ à Tunis. Alain m’a invité au déjeuné avec sa famille dans un restaurant très convivial. J’ai ramené les gâteaux que maman a acheté pour lui et Josianne (sa femme). Et il m’a ramené des livres que lui et Nathalie (sa fille)  ont sélectionnés pour nous.


Il était souriant comme d’habitude et nous avons parlé de la révolution et des rêves. Il pensait que la Tunisie sera, certainement, meilleure grâce à  sa jeunesse « moins arrogante et plus intelligente que la jeunesse française » comme il l’a toujours pensé.

Tout était, en apparence, normal sauf sa couleur de peau qui devenait, les derniers jours, jaunâtre. Il savait très bien que c’était la fin et pourtant il continuait à me parler de ses projets pour le journalisme. Un livre, deux formations et plusieurs articles sur son blog. Je me taisais. J’étais juste concentrée sur une seule chose : garder le sourire et le naturel. Ne pas lui montrer la tristesse qui me ravageait de l’intérieur. Je ne sais pas si mes grimasses m’ont trahi ou si l’ambiance, déjà sinistrée, nous a trahi tous. Nous qui voulons malgré tout partager quelques moments de bonheur et d’intimité …


après le déjeuné, on a décidé d'aller chez lui pour un petit café. Alain m’a fait écouter la musique soufie qu’il a achetée, lors de sa dernière visite en Tunisie, du Palais Ennajma Zahra à l’occasion d’un concert du chant soufi. J’ai pris une feuille et un stylo et j’ai traduit quelques titres à sa demande. Il aimait les nouvelles sonorités qu’il venait de découvrir. Lui, le grand amateur des sons (lien de son audioblog).


Il m’a montré quelques photos de  ses voyages aux USA, en Afrique et en Asie. Amoureux de voyage et de découverte, Alain et Josianne ont planifié un long voyage en Amérique par voiture. Il a tout préparé : la location de voiture, les billets d’avion, l’itinéraire, son petit appartement parisien qui devrait rester fermé le temps de quelques semaines et sa maison de compagne qui nécessite un entretien durant l’hiver. Mais la mort était plus rapide.

J’ai bu mon café, silencieusement. Josianne était stressée. Elle s’éclipsait de temps en temps dans la cuisine pour étouffer ses gémissements. Nathalie a préféré aller dormir dans sa chambre pour ne plus voir son père assumant son rôle du mourant. J’hallucinais, Alain était jaune. Et je savais que c’était la couleur de la mort. Il était en plein combat avec la mort. Une mort jaune glauque et plus forte que notre volonté de le garder parmi nous. Ce n’était pas de la piété, je ressentais plutôt de l’indignation. Cet homme n’avait pas le droit de mourir. Il avait encore des choses à dire et de l’amour à donner.

La conversation que nous avons décidé de mener malgré le chagrin était coupée par des silences sourds à nos efforts de continuer à faire semblant. A contre cœur, j’ai décidé de rentrer. Alain, toujours souriant, a continué à me parler de sa prochaine visite à Tunis. J’aurais aimé le croire et tuer, de mes propres mains, son destin fatal. En dessinant sur mes lèvres son même sourire révolté et moqueur, j’ai  finalement fait  un simple au revoir par respect à sa volonté de survivre.

En bas, dans la rue, sous la fenêtre de son appartement, j’étais seule à mélanger mes larmes avec les gouttes de la pluie qui s’acharnait sur moi. J’aurais aimé lui dire combien sa perte sera difficile. Pourrons- nous dire à un vivant que sa mort sera pénible à supporter ?  

Je ne réalise pas encore que je dois finir cette note avec « Alain! repose en paix ! On ne va jamais t’oublier ! » J’attends toujours qu’il me lise et corrige, discrètement, mes fautes d’orthographe. J’attends toujours qu’il m’envoie ses photos de vacances avec Josianne … qu’il me file des liens intéressants sur le journalisme et la politique… qu’il me demande de mes nouvelles et que je lui explique les raisons de ma dépression permanente.  

Désormais, Je suis seule plus que jamais. Je suis triste et je le resterais tant que je n’ai pas pu faire son deuil convenablement.

 

« la vie d’Alain est le cumul de 35 ans de passion pour le journalisme. Il est pionnier du webjournalisme depuis des dizaines d’années. Sa passion, sa rigueur et sa créativité dans le journalisme inspire plusieurs dont je faisais partie depuis plusieurs années. Je n’ai jamais réussi à cerner ses compétences et savoir faire dans le domaine journalistique. Je me rappel que j’ai passé plusieurs jours à essayer d’assimiler ses analyses sur son blog (journalistique) et ses livres.


 

mardi 4 septembre 2012

quand je voyage avec et en elle ...


(Le voyage est, à mon sens, une découverte de l’Autre. ce texte est une dédicace à une amie qui a partagée mon dernier voyage et qui m’a beaucoup inspiré) 

Elle était grande de taille. Ses grands yeux brillaient et ses paupières touffues parlaient d’une féminité abandonnée qu’elle peinait souvent à cacher. Son sourire clair et brillant donnait à tout instant le désir de partager la bonne humeur. Ses lèvres marquaient son visage rond et ses cheveux châtains courts et lisses témoignaient d’une révolte permanente qu’elle menait contre sa nature prospère de fertilité. 

Son insouciance se transformait en jean permanent et en claquette laissant paraître des petits doigts  qu’elle garnit d’un manucure rouge vif pour dire qu’elle reste, au dessus de toutes les circonstances, la femme dont elle est fière d’être. Sa poitrine généreuse et ses seins bien galopés ne laissaient personne indifférent. Elle tenait parfois à les cacher, par des tee-shirts amples, pour jouer le rôle de l’innocente qu’elle adorait joué de temps en temps. 

Elle conservait en son âme une petite naïveté qu’elle croyait nécessaire pour la vie. Ainsi, elle ne soupçonnait jamais les regards admirateurs et ne se rendait pas compte des avances des uns ou des autres. Elle voulait échapper au rôle de la femme fatale qu’on lui a attribué du premier jour de sa naissance. 

A quel point était –elle accessible ? Personne ne peut trancher ou prétendre avoir la réponse. Quand à elle, la question ne se pose même pas. Elle était et restera exclusive à elle-même, à son imaginaire et à ses rêveries du beau temps et d’harmonie inconditionnée. 

Elle avait l’œil et le cœur mais pas la parole. Elle bafouait et gesticulait en vibrant quand il s’agissait de parler des sentiments ou des idées importantes. Pourtant, quelque chose de contagieux ou de passionné pénétrait irrésistiblement ses interlocuteurs. Son regard manipulait l’atmosphère et plus encore les âmes qui l’entouraient et qui la convoitaient en permanence. 

Son secret était la sincérité et la transparence. Carte sur table, noir ou blanc, pile ou face, elle n’a jamais su nuancer. Elle tranchait et restait cloitrée fièrement dans sa décision comme un Dieu qui ne regrette jamais le châtiment d’un diable. Elle se sentait, vraiment, supérieure, pas par son charme, ni par son intelligence mais par ses valeurs. Et même si elle se ravageait de l’intérieur pour des petits regrets, sa majestueuse allure ne tolérait  jamais le rabaissement à des gémissements qu’elle considère médiocres et inutiles.  

Sa frustration était l’obligation de subir autre chose que l’aventure et ses difficultés. Le certain était son pire ennemi. Elle a choisi de combattre la banalité de la vie et la facilité de la mort. Elle jouait avec les deux comme on joue à la carte. Elle était persuadée que tout est une question de calculs même si elle n’avait pas, souvent, fait les bons et éviter les mauvais. 

Son rire était sensuel et coquin mais loin de la vulgarité. Elle avait le don de garder l’attention des présents même quand elle boudait en se suffisant à son verre et sa cigarette qu’elle se retient toujours à allumer. Quand elle est de bonne humeur, le moindre détail de la vie obéit et devient gai et aimable. Elle avait la sensibilité d’ajuster le monde à son aise.