lundi 25 juillet 2011

Voter ou ne pas voter ! this is the question !


Je comprends parfaitement la majorité des tunisiens qui ne veut pas s’inscrire pour voter le 23 octobre 2011. Je comprends parce que je partage les mêmes soucis et doutes : y aura-t-il un fort processus de contrôle pour garantir la transparence des élections ? À qui voter, alors que tous les partis politiques sont dans un même flou politique puant ? Pourquoi voter et qu’allons nous gagner de cette Assemblée Constituante qu’on va élire ? Plusieurs questions qui ont des réponses pas ou peu convaincantes … et qui pousse la majorité à fuir les bureaux d’inscription.  

A ces doutes, s’ajoute ce mal-à-l’aise qui s’accentue à chaque fois qu’on voit le Rcdiste « weld el houma » en train de s’organiser avec son groupe et se préparer pour les élections, ou en voyant le directeur ou le collègue du bureau Rcdiste de sa race, content de pouvoir enfin voter à son nouveau parti … 

Je comprends, et j’ai parfois ce même sentiment d’absurdité. Pourquoi s’inscrire ? Allons-nous vraiment réussir d’un premier coup des élections constitutionnelles ?  Et si la volonté du peuple s’avère autre chose que nous l’imaginons ? Si ce peuple traduira par les urnes une volonté de se rétrécir en due et bonne forme vers l’extrémisme qui nous guète ?
J’ai pensé à tout ça et j’ai même écris sur mon facebook, que je ne soutienne pas ces élections qui ne mèneront à rien sauf à des catastrophes.  Mais, en renversant le schéma de cette réflexion, je me suis posé la question suivante : et quand on ne votera pas, qu’allons nous gagner ?
Puis j’ai réalisé que :
-         -  Sans une forte implication citoyenne, il n’y aura jamais une observation équitable et pertinente sur le déroulement des élections et leur contrôle.

-        - Voter ne doit pas être forcément au profit des partis politiques pourris. Il peut être contre eux, ou il peut être pour des indépendants (moins pire).


-     - Sans une Assemblée Constituante, nous resterons dans le flou et l’instabilité et on aura des élections présidentielles ou parlementaires pires que celles organisées à l’époque de Zaba.

-         - Voter est tout simplement, la meilleure solution (puisqu’on n’a pas encore le choix) pour ne pas laisser la voie libre aux Rcdistes et leurs partis.


-         - Voter le 24 Juillet même si ça ne mènerait à rien, sera, au moins, un bon exercice pour d’autres prochaines élections.


-      - Voter le 24 Juillet serait peut être l’occasion ou jamais pour conjuguer ce verbe première personne du singulier, en cas où la Tunisie vivra un coup d’Etat et une autre dictature.

Je m’inscris et je vote, avec beaucoup de pessimisme mais je le fais quand même. Je m’inscris pour ne pas le regretter demain … je m’inscris parce que je n’ai pas le choix … et parce que je sais que ça va faire chier la police, les extrémistes et surtout les Rcdistes …


 (et je mettrais pas le logo et slogan de "wenti Wa9tceh" parce qu'il ne me plait pas :p) 




mercredi 20 juillet 2011

Henda Hendoud et les "amis colonialistes"


Tunis - devant l’ambassade de France. Il est midi trente. On est mi juillet et la température s’élève à 45° à l’ombre. Une longe file d’attente décore les murs de l’immeuble. Des visages écrasés par la chaleur mais surtout épuisés par l’attente qui ne semble pas être à sa fin.  

Sur mon reçu, on a marqué « rdv Lundi à 12H30 » : ce qui veut dire, normalement, rendez vous devant l’ambassade pour récupérez mon passeport et le visa. Mais en arrivant sur place,  j’ai compris que 12h30 n’est pas l’heure du rendez-vous mais simplement, le commencement de l’attente. 

Comme tous les braves tunisiens venus bien avant moi, je me suis alignée en cherchant un bout d’ombre dans la file d’attente. Il est 12h45, le guichet n’est pas encore ouvert. Une jeune femme, passe un mouchoir sur son front mouillé et me dit « vous pouvez vérifier, svp, s’ils ont ouvert le guichet ou pas ? » comme à notre niveau (très loin du guichet) on ne peut rien voir, j’ai accepté. 

J’arrive à l’autre bout de la file, la porte est encore fermée. Des silhouettes presque évanouies, des regards étouffés, des gorges sèches, des essoufflements, des soupires et des agitations … je regagne ma place, désespérée. Je constate que je ne suis plus la dernière, puisque d’autres demandeurs de visa rattrapent le fil d’attente. Je regarde autour de moi … quelques uns commencent à murmurer des injures… 

Et les conversations se lancent un peu partout entre les collègues de l’attente. Une jeune femme m’interroge « C’est ta première fois ? ».  Je réponds timidement par un oui. « Moi, je pars en France tous les trois mois » riposte la jeune femme, fière. « Mais c’est toujours compliqué pour le visa » ajoute elle avec regret. 

Une autre jeune fille intervient. « Moi, je viens pour compléter mon dossier … j’ai un conjoint français. Je viens du Monastir … c’est loin et c’est pénible de faire les allers retours pendant des semaines … ». Un homme derrière nous, conteste à haute voix « mais pourquoi on nous laisse attendre des heures sous le soleil ? ». « Oui, c’est inconcevable !! » clame la majorité des personnes qui nous entoure. 

« Moi, je viens pour récupérer le visa de ma sœur. Elle est docteur en science et doit assister à un séminaire à Paris » explique un jeune homme. « J’ai pris le train de Gabes à 4 heures du matin. Hier, on m’a demandé de patienter jusqu’à 15h puis on m’a annoncé que le visa n’est pas encore prêt et que je dois revenir… et me voilà » Ajoute-t-il. 

Mais ce n’est pas tout, car il y a ceux qui passent plus de 5 semaines à attendre le visa, refusé, souvent, après plusieurs tentatives.  D’autres changent et rechangent les billets d’avion en sacrifiant des journées entières de leurs congés annuels. D’autres, encore, annulent des inscriptions aux facultés ou laissent tomber des opportunités de stages ou d’embauche…

« Mais qu’est ce qui pensent ces français ? Que nous ne pouvons pas nous passer de leur pays ? Et qu’on veut absolument y squatter ?? » S’indigne un homme après une série d’histoires en même genre de difficultés et de refus de visa … 

C’est exactement la même question que je me suis posée depuis des années. Au même temps, je n’arrête pas de penser aux dizaines de réunions, meeting, tables rondes et discours donnés par les français. Depuis le 14 Janvier, ils insistent à dire que la France veut « aider » ou soutenir notre pays. Ils invitent les blogueurs, les politiciens, les journalistes et les artistes pour proposer des services, pour donner des financements et pour complimenter la Révolution du Jasmin. Ils parlent de la leçon de dignité et de volonté que nous avons donnée au monde entier … 

En regardant l’enfer que nos « amis colonialistes » nous offrent devant leur ambassade, je ne peux pas m’empêcher de sentir l’humiliation et le dégout. Entre le discours flatteur et la réalité mortifiante, je suis maintenant certaine que « nos amis colonialistes » n’ont rien compris de notre leçon de dignité et de liberté … ils ne pigent  rien et ne voient surtout pas ce changement qui envahit le monde entier et je suis persuadée que leur pays sera parmi les premiers à se révolter contre ce système défaillant …  

Ne me dites pas que je suis naïve et qu’il y a, bien évidement, une différence entre la diplomatie et la réalité. Je suis, tout simplement, comme la majorité des tunisiens qui rêvent d’un monde meilleur où liberté, égalité et fraternité seront les valeurs partagées entre toutes les nations. 

je rêve et je dois rêver d’une vie meilleure où notre peuple aura le droit de voyager et de vivre sous d’autres cieux … un pays où les ambassades de nos « amis colonialistes » seront des endroits agréables  qui respectent l’être humain quelque soit sa couleur et sa nationalité … un monde où nos « amis colonialistes »  feront plus attention à notre intelligence en donnant leurs discours car comme le dit bien une chère amie à moi « We are not stupid » même si on en avait l’air avant … 


lundi 4 juillet 2011

Zeineb: « entre la prison et la liberté, je préfère ne plus me taire ! »



Elle s’appelle Zeineb. Une silhouette maigre qui se cache derrière un hijab et une longue jupe en blanc. Le regard fier, les lèvres souriantes mais avec amertume et le visage un peu noirci par un lourd fardeau d’un vécu pas du tout commun. Zeineb avance et se dresse devant la salle. 

C’était un jour où on a décidé de rendre hommage à la femme militante et aux mères des martyrs. La salle de réunion dans un hôtel chic au centre ville, était pleine de longues et courtes jupes. Noir, blanc, rose et même transparent, les couleurs et les odeurs des parfums se sont mélangés et ont, pour une fois, accepté de s’harmoniser pour honorer la Femme. 

La première partie de la cérémonie était consacrée aux témoignages. Des anciennes prisonnières politique ont défilé, des femmes et des mères de martyrs ont pleuré en racontant leur souffrance... Mais Zeineb a choisi de sourire … elle avance vers le podium. 


Des conversations par ici, des rires par là … les invitées ne prêtaient pas attention à cette maigre voilée lorsqu’elle a commencé à raconter : Tout a débuté lorsque j’avais à peine 25 ans. Depuis mes 17 ans, j’étais activiste dans une association locale qu’on a retiré son visa après quelques années. Un jour, de retour de mon travail, deux policiers m’arrêtent et on me transfert à Bouchoucha. 

Sans interrogatoire, on me fait signer des papiers que je n’ai jamais lus. On me laisse nue dans une chambre sans couverture ni lit. C’était en janvier, il faisait un froid de chien. On me donne pas à manger. Au bout de quelques jours je m'évanouis … c’était heureusement ou malheureusement le jour de mon procès.  
Devant le juge, mon avocat a donné les preuves de mon innocence. Après quelques minutes du silence, le juge me condamne à 6 ans de prisons. Sous le choc, l’avocat proteste et le juge lui dit « occupe toi de tes affaires et boucle la ». Assommée par la nouvelle, ma famille passe à la cour d’appel mais l’affaire s’arrête là et la soit disant justice refuse de revoir mon dossier … 

Un soupir puis un silence. Cette fois, les présentes se taisent. Quelques unes sous le choc et d’autres avec l’amertume de plusieurs souvenirs similaires… 

 J’ai visité toutes les prisons tunisiennes. A chaque fois, on me transfert à une prison encore plus lointaine de ma famille. La prison ? Il y avait de tout, des mères avec des enfants, des femmes enceintes, des vielles et des jeunes. Il n’y avait que deux types de prisonnières. Celles de droits communs et celles « des bonnes mœurs ». 

En prison on nous interdit tout : la lecture, l’écriture, le téléphone, la télévision, l’eau chaude, la communication entre nous … 

Les enfants ?  Ils étaient nombreux à assister aux scènes de violence quotidiennes, à écouter les histoires horribles de torture et de souffrance et à vivre dans les mêmes conditions pénibles de la prison. 

Chaque semaine, on avait droit à une visite sauf quelques unes que le système a décidé de les punir doublement… après des mois d’attentes, j’ai réussi à avoir une visite qui normalement dure 10 ou 15 minutes.  En réalité, ce n’était pas le cas. Derrière les barreaux, j’ai vu pendant 5 minutes ma mère et ma sœur encerclées par les gardiennes. Depuis, les visites deviennent de plus en plus rares et courtes … 


Un médecin ? Jamais je n’ai entendu parler d’un médecin en prison. Je me rappel du jour où j’étais obligée d’arracher, toute seule, une dent après des jours de douleurs insupportables… et je rappel qu’il y avait des enfants en prison sans médecin … 

J’ai passé mes plus belles années à la prison. Mais le pire, n’était pas l’incarnation et la punition physique. Le pire est venu après ma libération. J’étais interdite de voyage, de déplacement et de travail …
Chaque jour, je devais passer au poste de police pour signer. Une première fois à 8h du matin et une deuxième à 18h.  Je passais la moitié de mon temps dans la salle d’accueil du poste de police, attendant le commissaire pour valider ma signature. 

J’étais obligée tous les jours de prendre l’autorisation de la police pour aller à la pharmacie et acheter des médicaments pour mon père malade. Un sentiment terrible d’injustice et d’humiliation me prend à chaque fois que je passe au commissariat pour avoir l’autorisation d’aller faire des courses ou pour sortir de chez moi… 

La famille ? Mes deux frères étaient harcelés et poursuivis par la police à chaque fois qu’ils viennent me visiter. Finalement, on a cédé et j’ai passé 6 ans sans les revoir … les cousins, oncles et tentes trouvaient le même sort et finissaient par abandonner l’idée de nous rendre visite ou de nous téléphoner …  

Mon quartier ? De peur d’être menacée ou ennuyée par la police, personne ne pouvait même m’adresser la parole ou contacter ma famille. Personne ne pouvait nous aider sachant que nous étions sans source fixe d’argent. Nous étions isolés, seuls et entourés par la police politique même dans nos chambres. 

Le jour de mon mariage, j’étais obligée de le fêter seule avec mon mari et quelques membres de ma famille. Sans amis, ni proches, ni voisins, j’étais obligée de cacher ma joie d’avoir, enfin, une famille …
Le pire jour de ma vie était celui de mon accouchement. Au lieu d’aller directement à l’hôpital comme le font toutes les futures mamans, moi j’étais en train d’avaler ma douleur devant le bureau du commissaire. Il est venu en retard et m’a donné la maudite autorisation … pour aller accoucher … pour donner naissance à ma fille ! 

Des larmes jaillissent de ses yeux et des soupires envahissent toute la salle remplie de femmes connaissant ce sentiment intime d’accoucher du premier bébé. 

Zeineb continue avec, cette fois, une voix étouffée : bien sur que je n’avais pas le droit de fêter la naissance de mon premier bébé. Bien sur que j’étais obligée d’aller au commissaire juste après l’accouchement pour signer … et bien sur que la souffrance a duré avec la même intensité durant des années …
Après la chute du dictateur (elle refuse de prononcer son nom), je pensais que ma souffrance a pris fin. La police a disparu de ma vie et de celle de ma famille… 

Et j’ai postulé pour le poste d’instructrice que j’avais avant la prison. Ma demande est refusée, sous prétexte que j’ai dépassé les 35 ans… c’est vrai ! Mais mes vingt ans se sont écoulés dans la prison de la dictature. J’ai payé cher le silence affreux du peuple !!
Comment voulez vous que je reprenne ma liberté sans travail ? Comment concevez-vous la liberté sans dignité ? 

Zeineb regarde la foule en souriant. Je ne suis pas ici pour me déplorer ou pour prétendre que je suis héroïne. Il y a des femmes qui méritent ce titre bien plus que moi … je suis ici pour vous dire qu’aujourd’hui, il ne faut plus se taire !! Aujourd’hui, il faut plus laisser la voix au seul discours et la seule opinion !! Aujourd’hui, nous devons être fières de notre liberté et nous devons l’assumer et la défendre … vive la Tunisie libre !! » 

Des applaudissements et des larmes. Elle ne voit plus les visages en face … seulement les yeux de ses deux petites filles au fond de la salle l’interpellent. Elle essuie ses larmes discrètement et avance. Elle ne reconnait pas les voix qui l’appellent et les mains qui tapent sur ses épaules … elle ne voit plus rien et avance doucement vers les deux petits visages innocents … elle les prend entre ses mains, enfonce sa tête contre eux et pleure … 

Un quart d’heure après, l’ambiance se détend et on oublie Zeineb qui reste immobile au fond de la salle. Quelques minutes après, elle quitte la salle … dégoutée par les quelques mots de solidarité, les applaudissements et la pitié de la salle.