dimanche 23 janvier 2011

Médias tunisiens : le contrôle du pourvoir revient en force


Le 14 janvier 2011, le peuple tunisien a arraché sa liberté d’une dictature qui a duré 23 ans. Le 23 janvier, même la police, symbole et outil de l’oppression politique en Tunisie, a brisé les chaines et a dénoncé  l’injustice de sa direction. Aujourd’hui,  tous les secteurs sont en train de chercher leur chemin de liberté et surtout la voix de leur indépendance. Mais où est la presse tunisienne de ce mouvement historique? 



Le 13 janvier, tous les médias ou presque ont affiché leur volonté de rompre avec la propagande et la censure au service du pouvoir politique. Mais, au bout de dix jours seulement, cette volonté devient de plus en plus faible et de moins en moins fiable. Les preuves d’une manipulation médiatique et d’un discours uniforme se multiplient. Certains journalistes commencent à renouer avec leurs mauvaises habitudes; d’autres se soumettent sans réagir aux décisions de rédacteurs en chef qui ne songent qu’à soutenir, par réflexe et par principe, ceux qui détiennent le pouvoir, simplement parce qu’ils sont au pouvoir.

Aujourd’hui, la liberté d’expression des médias se réduit à deux phénomènes qui résument l’offre d’informations aux citoyens tunisiens.

La critique de la dictature est une diversion

Le premier, est la critique de l’ancien régime: elle ne dépasse pas la démonstration,  imprécise, des crimes dévoilés après le départ de Ben Ali. Le second phénomène est la prolifération de débats (talk shows) sur les plateaux des chaînes de télévision. Chaque soir, les différents sujets qui sont abordés tombent toujours dans les même piège : la diffamation, le règlement des comptes et les querelles inutiles (comme le cas d’Hannibal TV).

Critiques faciles et vagues de l’ancien régime et règlements de comptes sont les deux dimensions d’une dérive malsaine de l’information, dérive qui s’apparente à une nouvelle forme de manipulation médiatique.

Il y a manipulation, en effet, quand les organes de presse se servent de Ben Ali, désormais inoffensif, pour détourner l’attention des citoyens. Prenons l’exemple du lynchage médiatique des personnages et personnalités qui gravitaient autour du couple Ben Ali. Ce bruit médiatique rempli de sensationnalisme et d’émotionnel donne l’illusion d’une liberté d’expression qui n’existe toujours pas en Tunisie. Critiquer et accuser un régime déchu est la chose la plus facile à faire. Mais derrière ce lynchage se cache un objectif d’une véritable opération de diversion : faire croire au peuple tunisien qu’aujourd’hui son seul ennemi est « Ben Ali ». Les médias tunisiens continuent à montrer l’ancien régime comme le seul danger qui nous guette encore. En ne désignant qu’un seul danger, au demeurant factice, les médias tunisiens détournent l’attention du peuple tunisien et occultent, de fait, les autres menaces, bien réelles, elles.

Trois preuves de la manipulation médiatique


Et pourtant…le RCD, parti du dictateur déchu, continue à régenter le gouvernement de transition. Quelques témoignages contiennent les indices de la manipulation médiatique. Comme celui d’une journaliste qui travaille sur un site internet réputé et qui affirme que son rédacteur en chef lui a strictement interdit de faire des investigations sur les documents détruits par quelques responsables ; or, ces documents auraient pu servir de preuves tangibles sur les crimes du régime de Ben Ali.

Un autre journaliste de la chaîne nationale affirme que les coups de fil passés en direct sont filtrés. Il précise que la régie prépare une liste dont les interlocuteurs sont sélectionnés en avance. Ce même journaliste a même témoigné à propos d’un débat mis en scène de A à Z dans les coulisses. Et il nous a confié que plus que la moitié des émissions sont enregistrées pour ne pas risquer un dérapage quelconque.   

Ces derniers jours, l’effort des médias se concentre sur la promotion et le soutien du gouvernement provisoire. La preuve la plus récente est l’interview du premier ministre « Ghanouchi », diffusé vendredi dernier sur la chaîne nationale. Devant les questions dociles des journalistes, Mohamed Ghanouchi a su influencer une grande partie du peuple tunisien. Les plans rapprochés sur ses larmes n’ont laissé personne indifférent, montrant la volonté – pas si innocente que cela - de gagner l’émotion, la compassion et la compréhension des téléspectateurs avec des techniques cinématographiques, bien connues des spécialistes. Le découpage de cette interview montre surtout la complicité de la chaîne nationale avec le gouvernement provisoire. Cette même interview a fait la « Une » de la majorité des journaux, radios et sites Internet du samedi 22 janvier. La presse dans son ensemble n’a pas hésité à ajouter des commentaires positifs en faveur du premier ministre présenté comme l’incarnation de la « rupture avec l’ancien régime ».

Tout se passe comme si pour certains journalistes tunisiens la soumission automatique au Pouvoir était un réflexe conditionné issu de leur « bon vieux temps ».

Les débats télévisés ne servent qu’un seul point de vue

Autre exemple de conformisme anachronique, au niveau des débats organisés par la télévision et la radio : face aux manifestations qui continuent dans toute la Tunisie, les médias sont - encore une fois -  tous d’accord pour suggérer la « frivolité » de ces manifestations ; insinuant ainsi que les manifestations qui ont abouti à la libération de notre pays avaient été, elles, des actes de violence et… de terrorisme. Sans le moindre souci d’objectivité, les médias persistent à critiquer par tous les moyens les demandes des manifestants. Débats, interviews et même les news n’argumentent qu’à partir d’un seul point de vue: « nous n’avons pas de meilleure solution que le gouvernement provisoire dominé par les anciens du RCD ». Et l’argument le plus fort, le plus utilisé aussi, est, bien sûr, la sécurité, l’équilibre et la sérénité du pays qui sont mises en danger, d’après nos médias, par ces manifestations pacifiques. 

C’est un curieux détournement du débat que de l’organiser autour d’un seul point de vue. Le débat, c’est par définition, la discussion ouverte à partir de plusieurs points de vue. Multiplier les débats fermés ressemble fort, là encore, au vieux réflexe conditionné par le seule point de vue qui prévalait, naguère, celui de Ben Ali.

Depuis des décennies, le peuple tunisien s’est habitué à considérer les médias nationaux et même privés comme l’un des acteurs les plus puissants de la société du spectacle. Mais le plus grave, après la révolte du 14 janvier, est de constater que nous n’avons plus beaucoup de chance d’avoir des médias libres, des médias qui se comporteraient comme des outils politiques indispensables  à l’éclosion d’une vraie démocratie. Car, il est clair que nos journalistes, précisément la majorité, renoncent à leur tâche la plus urgente : construire un espace libre de discussion et de réflexion. Il est aussi clair que nos médias cèdent, sous ou sans pression, (une enquête peut le prouver) à l’unique fonction de propagande et de censure qui était leur fonction sous la dictature.



mercredi 19 janvier 2011

Journalistes et blogueurs! Unissons-nous!



Dans cette période transitoire, décisive pour l’avenir de notre pays, les médias tunisiens jouent un rôle important. A cette étape, les journalistes doivent mener un travail cohérent de pédagogie afin de protéger les Tunisiens des extrémistes, des profiteurs et des agitateurs qui veulent se servir de la Révolution du Jasmin.



Personne ne peut nier la métamorphose qui s’est accomplie dans le paysage médiatique de notre pays. Depuis le 13 janvier, tous les médias ou presque, ont montré leur volonté de se réconcilier avec le peuple.


Cependant, nous avons encore beaucoup de travail.

En effet, le journaliste et son rédacteur en chef qui sont pressés par les évènements, par et les déclarations, n’ont pas le temps de mener une réflexion approfondie sur les priorités des médias tunisiens. Dans ces moments de crise, nous devons connaître nos priorités, malgré la pression de l’actualité, sans se préoccuper des scoops et de l’audience ....


Le premier point concerne la confiance du grand public. Pour la réinstaurer, il faut défendre tout le métier et non seulement les médias. Pour surmonter cette crise de confiance, nous devons rester solidaires en oubliant le passé : ne plus chercher dans le passé des concurrents. Nous devons cesser de nous critiquer les uns les autres. Si nous nous unissons, nous serons plus efficaces et surtout beaucoup plus crédibles.


Le deuxième point consiste à tout faire, en urgence, pour délivrer la meilleure information possible, la plus riche et la plus honnête, sur la vie politique en Tunisie. Le Tunisien veut comprendre ce qui se passe autour de lui. Notre rôle consiste à laisser la parole aux politiciens. Mais aussi à élaborer un vrai travail de recherche et d’investigation sur toutes les figures politiques, analyser leurs biographies et les idéologies qui les réunissent. Nous ne devons pas nous limiter aux plateaux de talk show. Les reportages et les interviews doivent être nombreux et approfondis, beaucoup plus que ce que nous avons été amenés à faire dans le passé.

Dans ce contexte, je pense qu’une comparaison entre la Tunisie et d’autres pays qui ont connu des révolutions comparables au cours des vingt-cinq dernières années, sera bénéfique. En effet, cette comparaison permettra de montrer que partout, ce sont des hommes de l'ancien régime qui ont assuré la transition vers une vie politique régénérée, rénovée.


Le troisième point est une nécessité : encourager, par tous les moyens, le Tunisien à s’engager dans la vie syndicale, associative et politique. Cela permettra aux citoyens de trouver plus d’espaces d’expression. Et il favorisera aussi une rénovation accélérée de la vie démocratique, du gouvernement, pour le plus grand bien du pays.

Le quatrième point devrait nous amener à réfléchir à une collaboration avec les blogueurs tunisiens. Certains ont acquis p^lus de crédibilité que nous. La plupart sont immergés dans la société tunisienne. Nous devons dialoguer avec eux, leur donner la parole à travers nos médias pour gagner leur confiance et leur soutien. En outre, ils peuvent être une source d’information considérable dans notre travail de tous les jours.


Pour discuter de ces quelques idées, les enrichir, les confronter démocratiquement, je vous invite à une réunion qui nous permettra de discuter et d’approfondir la recherche d’une nouvelle voie vers une presse tunisienne libre, responsable, crédible et surtout efficace.



Henda Chennaoui

vendredi 7 janvier 2011

Confession d’une journaliste handicapée par la corruption



Depuis le 17 décembre, les évènements se poursuivent et s’évanouissent sous les commentaires suicidaires du peuple, les interprétations des journalistes, politiciens et les barreaux des brigadiers. Ce que nous vivons aujourd’hui dépasse l’actualité brulante, la crise et frôle la guerre civile. Dans tout ça, je vais juste donner le témoignage d’une jeune journaliste qui se voit corrompue malgré elle … et qui cherche à faire une confession avant que ça soit trop tard !

La journaliste : à ce stade déterminant que vit mon pays, je me sens handicapée. Eh oui, je me sens muette, myope, avec des membres immobiles et un cerveau presque défaillant.

Pourquoi ? Pour répondre à cette question, je serais encore plus hypocrite si je présenterais les raisons en disant que je travaille dans un média, « privé », à but lucratif, qui dépend des sponsors, de l’autocensure des rédacteurs en chef et des répressions réelles de l’Etat.

Ce qui précède ne représente pas les raisons, mais plutôt les circonstances dont lesquelles je pratique mon métier « noble ». Moi, la journaliste handicapée, je me contente de partager sur facebook ce que mes amis publient. Je me contente de mettre « j’aime » sur les profils audacieux et de lire les articles et les déclarations chaudes des autres. Aucun autre sujet, n’a plus d’importance que de critiquer le système, d’insulter Ammar, d’encourager Anonymous et de soutenir Sidi Bouzid par des actes facebookiens.

Et devant tout ça, je reste immobile, handicapée, inutile. La rage que je ressens ne peut prendre aucune forme, de peur de perdre mon boulot, plutôt ma seule source d’argent. Que c’est mesquin de se sentir lâche ! De se voir inutile pour son pays, son peuple … sa cause !

Et dans tout ça, comment dire à mon peuple qu’il doit mettre fin à sa brulure ? Comment dire à mes jeunes frères que la lutte ne doit brûler que la dictature qui nous étouffe ?!!! Je meurs tous les jours milles fois en voyant les jeunes tunisiens se brulant en plein public !!! Comment les aider à comprendre que la bravoure n’était jamais autodestruction ?

Moi, journaliste handicapée, j’avoue m’appartenir à l’évanouissement de la Presse
Moi, journaliste handicapée, j’avoue m’appartenir au système aveugle, défaillant et corrompu …
Moi, journaliste handicapée, j’avoue contribuer à la mascarade des médias tunisiens
Moi, journaliste handicapée, j’avoue dénoncer mon droit à la liberté d’expression
Moi, journaliste handicapée, j’avoue avoir vendu mon âme à la dictature
Moi, journaliste handicapée, j’avoue être corrompue

A vous ! Citoyens, journalistes-citoyens et bloggeurs ! À vous, la liberté d’expression, chère à payer mais délicieuse à vivre ! Moi, journaliste handicapée, je me contente de ma honte, de ma carte professionnelle et de ma bassesse…

Signature : journaliste trop lâche pour signer et assumer ses pensées

lundi 3 janvier 2011

Je suis un artiste engagé ! Je suis l’Artiste !

Je vous raconte l’histoire d’un homme tunisien qui se dit « artiste », « engagé », « complexé » et « compliqué ». Je vous raconte son histoire, ou plutôt ce qu’il refuse dire de lui même … (avis à tous ceux qui se reconnaissent dans cet article : je vous conseil d’aller mettre fin à votre existence avant de pourrir dans l’ignorance et la bêtise). 

Looser de premier degré, l’artiste engagé se paie un charisme brillant de loin, fade de plus près. Il ne croit pas à l’intelligence mais grandit à travers les complots, les dogmes et l’art des slogans vides … 

L’artiste engagé fait un art engagé ou plutôt des discours politiques, touchant et mélangeant toutes les causes humanitaires du monde. Il ne se sent pas concerné par l’art, ni par la création. Finalement, l’art n’est qu’un moyen d’expression, un squelette fragile de ses idées « avant gardistes ». 

L’artiste engagé refuse d’être ce qu’il est lorsqu’il est devant les autres. Il se cache. Il se sait « coupable », évidemment. Mais il lui « faut » donner l’image du sérieux, du bien, de la justice. Sa conscience est tâchée mais les tâches sont cachées. Cachées par les actions, visibles celles-là, de l’artiste engagé. Il donne à des associations, il donne, et le fait savoir, par ses discours, sur son facebook et dans les AG. Il donne jusqu'à son sang... Il est d’une grande générosité. En apparence ! Mais la générosité, n’est-ce pas donner sans rien attendre ? Lui, il donne en espérant un retour, au moins une subvention étrangère ou un voyage gratuit. L’effacement de la honte que provoquent au fond de lui les injures, les mensonges, les violences, les actes interdits qu’il s’autorise pourtant à l’abri des regards…

Quand il a une femme (épouse ou compagne). Elle est sa caution. La femme de l’artiste engagé doit être un modèle : attentionnée, bienveillante et prête, surtout, à pardonner les défauts de l’époux. Prête à… ou obligée d’être fière de ses caprices. Elle doit auprès des autres, faire passer le mari pour un artiste engagé, autorisé à avoir toutes les femmes du monde. Elle doit dire devant tout monde « je sais qu’il n’aime que moi, et que toutes les autres ne sont que des muses passagères dans sa vie artistique ». 

Parfois elle se confie dans les bras d’un autre… Quand l’insupportable l’écrase sous le poids… Gare à elle néanmoins si cela se savait !... gare à elle, si un jour elle dit aux autres que son conjoint, n’a pas la sensibilité de l’artiste … si elle raconte qu’elle dort tous les soirs dans la froideur de son lit, caressant inutilement ses cheveux long et sa barbe d’artiste engagé. 

Et tout ce joli monde parle, dit, tient de beaux discours. Mais souvent s’arrête aux frontières du discours. Car au-delà du « dire », il y a le « faire ». L’artiste engagé « fait »… mais jamais ce qu’il dit ! Et ce qu’il ne dit pas, il le fait en cachette… sans honte… apparente !