samedi 5 avril 2014

Tableau de torture

- Ezz est un artiste égyptien, metteur en scène, écrivain, poète et vidéaste. Je l'ai connu entre le Caire et Alexandrie où on a partagé une grande amitié et des moments, le moins que je puisse dire, inoubliables. A mon retour à Tunis, en 2012, j'ai écrit ce petit texte pour résister aux distances et frontières qui nous ont séparé -  



Il est 4h du matin. Il ouvre, péniblement, la porte et rentre. L’obscurité de la maison ne l’empêche pas de repérer le chemin vers le salon et d’allumer la télévision. Il avance machinalement vers les toilettes et urine lentement. Entre-temps, il allume une cigarette. Sa tête, penchée vers l’avant, devient lourde avec la quantité d’alcool qu’il a bu ce soir. Depuis des années, il ne se pose plus la question s’il est vraiment alcoolique ou s’il est simplement solitaire. Il se moque de la quantité d’alcool et du hachich qu’il consomme quotidiennement. De toute façon, il faut bien trouver une activité pour passer vite la soirée et dormir. L’essentiel est d’arrêter de penser pour quelques heures.

Il était moyen de taille et plutôt squelettique au point que ses os se manifestaient vulgairement sous sa peau blanche et mate. Son visage était ridé et couvert par des cheveux danses, noirs et courts. Ses yeux foncés et enfoncés dans ses joues creuses renvoyaient un regard pénétrant et hautain. Il laissait pousser une légère barbe et une moustache pour cacher la maigreur d’une mâchoire carrée mais aussi pour bien entourer des lèvres bien charnues.

Il ouvre le réfrigérateur installé entre la salle de bain et le salon. Il n’y a rien à manger comme d’habitude. De toute façon, il n’a pas faim. De plus, personne ne vient chez lui pour partager un moment convivial. Il s’en fout de la nourriture ou il s’en fout plus précisément des amis qui ne viennent jamais. Finalement, c’est pareil.

En réalité, il nourrissait une haine cachée pour la nourriture. Pour lui, manger et grossir était une trahison à son âme qui se voulait légère. Il pensait, sincèrement, que les gros ventres et les larges cuisses traduisent, par évidence, la vulgarité de l’âme. Son amie éternelle était la cigarette. La fumée saturée de pessimisme, était pour lui comme une arme qui s’évaporait en méprisant les regards des inconnus qui l’entouraient en permanence.

Il augmente un peu le volume de la télévision. Il y a un débat entre un représentant de l’armée, un islamiste et un « feloule ». Il roule un joint lentement. Fumer du hachich avant de dormir est devenu un rituel vital. La drogue n’est plus un moyen de plaisir mais elle sert juste à apaiser ses maux de tête et l’aider à dormir. Dans quelques instants, ses voisins se réveilleront pour commencer leur journée. Ils feront beaucoup de bruit légitime dans le quartier. Oui, un bruit légitime, une anarchie légitime, une bataille légitime qui fait du bien à la production sociale et économique. Lui, il ne produit pas. Il n’est pas utile. Donc, il n’a pas le droit de faire du bruit et déranger par sa musique, par sa télévision ou ses crises de nerfs, les autres « légitimes ». Il doit rester discret et silencieux comme une souris  dressée pour ne pas se faire écraser par la ménagère. Il pense à tout ça et ce rappel du contrôle « légitime » de ses voisins sur sa vie.

 Ces crétins, arriérés, moutons du système, illettrés et ignorants pensent qu’il est coureur de jupons, alcoolique, athée, artiste, arrogant, mystérieux et inutile. Ils contrôlent ses vas et vient et ne tolèrent pas qu’il ramène des filles à son appartement … même discrètement. Ils le boudent et pensent au même temps qu’il est narcissique. Et pourtant, il prouve une joie cachée de vivre dans cet immeuble de ce quartier populaire. Ses voisins sont les pauvres travailleurs qu’il défend dans ses pièces de théâtre. Il ne doit pas oublier son attachement à ses principes d’artiste engagé dans la lutte des classes.

Aux dernières bouffées du hachich, il laisse échapper un sourire moqueur. Oui, finalement, ses voisins ne sont pas aussi mal qu’il le prétend. Ils le font sentir son originalité et sa supériorité intellectuelle et morale. Il s’en fout de leurs jugements, finalement, lui aussi il les juge. Et parfois, il les méprise.

Par contre, ce qui le dérange, au point de la paranoïa, est la police politique. Ces gens qui le suivent partout où il va. Ces gens qui savent tout sur lui et se permettent  d’infiltrer son entourage, ses amis et même sa famille. Il les voit partout. Il se sent étouffé par leur présence et passe une bonne partie de sa vie en train de les fuir dans les cafés et les bars. 

Sur cette réflexion, il se dirige lentement vers la fenêtre du salon et jette un coup d’œil discret entre les rideaux. La rue est complètement déserte. Mais il sait très bien qu’ils se cachent quelque part. Peut-être dans l’une des voitures parquées devant l’immeuble. Peut-être, ils sont dans l’immeuble d’en face, dans les escaliers, ou sur le toit. Ils sont probablement à la mosquée et ils reviendront dès qu’ils auront terminé la prière de l’aube.

Il se brûle le doigt avec son gros joint mal roulé. Il sursaute par l’effet de la douleur sur ses maigres doigts mais aussi de peur que ses hallucinations de mort et d’espionnage deviennent réalité. Il regarde son doigt légèrement cramé par son joint, et fait le compte rapide de cicatrices sur sa main. D’un coup, une fatigue paralyse son corps fragile.  Il se laisse choir sur le canapé et continu à regarder les mimiques de l’animateur et ses invités. Il n’entend pas ce qu’ils disent mais il n’est, tout de même, pas d’accord avec eux. Ils ont tué le dernier espoir d’un vrai pays, d’une vraie démocratie et d’une véritable liberté. Ils sont tous traîtres, tous lâches, tous criminels … le haschich l’empêche de penser plus clairement. Et c’est tant mieux.
 Il ferme les yeux. Se souvient de sa solitude. Il essaye de s’interdire de penser et d’espérer. Il fait le défiler des sourires féminins qui l’ont croisé dans le bar. Il reprend mot à mot les discussions avec ses camarades et surtout les passages où il était le plus pertinent… comment ça se fait qu’il n’est pas reconnu par ces connards, analphabètes qui se prennent pour des révolutionnaires ? Ils sont certainement jaloux de son intelligence… le jour viendra où il sera reconnu à sa juste valeur. Il y aura son portrait dans tous les bars de la ville, une salle de cinéma et une avenue qui portent son nom, des femmes et des hommes qui se vantent de l’avoir connu de près …   

Il ouvre ses yeux lourds par la drogue, se ramasse du canapé et se dirige, lentement, vers la chambre à coucher. Un grand lit avec des draps usés. Une petite armoire marronne claire, sans porte, où des vêtements se mêlent, amoureusement, avec des livres et des scénarios. Un bureau, longtemps déserté poussiéreux sur lequel des centaines de papiers et de documents dorment depuis des mois voire des années.

Il se plonge comme un cadavre sur son lit. Il n’ôte pas ses vêtements et ses chaussures et regarde vaguement vers le plafond. Cette scène très classique, très caricaturale décrit comme l’ont fait mille autres personnes le quotidien nocturne d’un artiste bohémien solitaire et pauvre. Quelle originalité ou créativité de la reproduire dans un film ou un roman ou une pièce de théâtre ? Et pourtant, cette scène résume bien sa vie. Elle est plutôt toute sa vie. Il repense aux sourires de femmes qui l’ont admiré pendant qu’il faisait ses discours révolutionnaires sur la lutte des peuples et l’art engagé… ces petites femmes belles, révoltées et fragiles qu’il aime bien encadrer, admirer et écraser et dominer par la suite.

Il se réveille complètement mouillé. La tête lourde de douleur mais aussi de bonne humeur. Il adore ses rêves érotiques et compte beaucoup sur son imagination pour meubler ses nuits de solitude. « Une façon de militer contre la tristesse  du quotidien » se dit – il, souvent, pour ne pas laisser la place aux remords. En sortant du lit, il se rappel d’un rendez-vous important qu’il avait avec des amis qui devraient jouer dans sa futur pièce de théâtre. Il se dépêche, alors, pour pas les rater même s’il sait qu’ils n’ont rien à foutre de leur journée, comme lui, et qu’ils resteront, pendant des heures, plaqués dans le café à mater les ruelles de la ville et à philosopher sur la vie et la révolution. Après la douche, il sort. La jouissance de ce matin lui a inscrit un petit sourire au bout des lèvres.

Sur la terrasse d’un café populaire qu’il avait l’habitude de fréquenter, ses copains étaient là, sans grand changement dans le décor qui les entours. Bizarrement, Ils rigolent tous en montrant des doigts ses pieds. Sans comprendre de quoi il s’agit, il regarde par reflexe ses pieds. Le choc était énorme. Il découvre qu’il a oublié ses chaussures. Sans trop réfléchir à quoi faire, il court en direction de chez lui pour  s’habiller. Il court en écrasant ordures, pierres, chats et dieu sait quoi d’autres. Le chemin lui parait plus long que jamais, lui qui, quotidiennement, ne se fatigue et ne se lasse jamais de faire le tour de toutes les rues et ruelles de la ville.

Il est à deux cents mètres de chez lui. Il lève les yeux pour regarder la petite fenêtre de son appartement et anticipe mentalement toute l’opération qu’il doit faire rapidement et sans bruit pour ne pas attirer l’attention. Mais trop tard, tout le monde l’a vu sans chaussures ! Vont-ils le dénoncer à la police ? Ses voisins, et surtout le gérant du café en face, et la femme de l’épicier qui déteste la façon dont il regarde sa fille…  vont-t-ils profiter de l’occasion pour l’humilier et l’obliger, pourquoi pas, à  quitter son appartement ? Il pense à tout ça et continue à courir, mais l’immeuble reste encore loin ou peut être qu’il est encore un peu plus loin que la seconde précédente.

Arrivé, enfin, à la grande porte de l’immeuble, il voit une petite camionnette de police qui s’arrête brutalement en lui barrant la route. Deux grands hommes, sortent de la voiture et le couvrent d’insultes et d’injures. Il ne riposte et ne proteste pas. Il sait très bien qu’il est interdit de sortir sans chaussures. C’est une vielle règle connue par tout le monde. « Interdit de sortir les pieds nus dans la rue pour tous les citoyens, même si on est pauvre, même s’il fait beau et même si on a, carrément, pas de pieds à couvrir ».

Les deux policiers l’emmènent dans la voiture au poste de la police. Il se laisse aller.
Dans une chambre complètement sombre. Il ouvre les yeux. Assis, certainement sur une chaise, il sent ses mains attachées dernière lui. Il sent une petite douleur au crâne. Les deux policiers ont dû le frapper pour pouvoir l’emmener et l’attacher dans cette cellule. Que s’est-t-il passé entre temps ? A-t-il signé des papiers ? Impossible puisqu’il était inconscient. Voilà qu’il se trouve dans la situation qu’il a redouté toute sa vie : La prison, l’interrogatoire de la police politique, la torture, l’angoisse et la peur de la mort, dans l’oubli de ses proches et ses voisins qui le détestent.

Il avait toujours peur de se trouver entre les mains de la police. Aujourd’hui, quand le cauchemar est devenu réalité, il se sent calme, serein et même soulagé. Il se sent, tout d’un coup, libéré de sa peur et de ses hallucinations. Il croit comprendre, un moment, comment les héros de la résistance ont affronté les méthodes les plus horribles de la torture et du chantage. C’est le moment de gloire qu’il a, éternellement, attendu. N’est ce pas ? Désormais, il n’est plus comme les autres. Désormais, il est quelqu’un d’exceptionnel.
A un moment lointain, et après des centaines voire des milliers de réflexions glorieuses qui l’ont bercé.  Il entend des pas qui s’approchent de lui. Un homme cagoulé, vêtu en noir, rentre dans la cellule et ouvre la lumière. Une lumière extravagante, gourmande et envahissante qui a aveuglé, deux petites secondes, les yeux d’Ezz. Il découvre alors sa nudité et pense directement au viol. L’homme cagoulé, était de sa même taille et presque dans sa même maigreur pitoyable.

Le cagoulé observe Ezz sans grand intérêt. Après un moment de silence hésité, Ezz essaye de dire qu’il est interdit, par les droits de l’homme, de torturer un artiste juste parce qu’il a oublié ses chaussures … et que les pieds nus ... Mais, visiblement, il était trop tard de négocier ou même de retarder un peu son sort. L’homme cagoulé était trop occupé par autre chose, pour l’écouter. Donc, il s’est tu et renonça à son discours.

L’homme cagoulé laisse la porte ouverte. Peut-être qu’il attend l’arrivée d’autres bourreaux. Il sent son souffle coupé quand l’homme cagoulé commence à ramener des matériaux déposés devant la porte de la cellule. Des bâtons et une grande plaque. C’est des battons de torture ?! Son courage et sa sérénité ont disparu d’un trait ! Il sent une vague de pitié, mouillée de larmes, pour lui-même. Au même temps, l’inconnu cagoulé commence à manipuler ses trois battons et il les colle soigneusement à la plaque. Il ne croit pas ses yeux, c’est un chevalier !
Le cagoulé commence à mélanger ses couleurs sur une petite palette et s’empresse de commencer à peindre son détenu en pleure. Ezz, et sans comprendre les raisons, continue à pleurer pour ne pas contrarier son peintre.

L’homme cagoulé continue à faire le portrait avec une concentration extrême. Peindre un prisonnier nu est-il une nouvelle méthode de torture ? Non, puisqu’il ne sent, jusque-là, aucune douleur. La police va-t- elle utiliser son portrait nu pour un chantage. Peut-être. Mais pourquoi la peinture ? Ils pouvaient prendre une photo, la passer sur Facebook, la coller sur les murs de son quartier, l’envoyer à sa famille… mais un tableau de peinture ! Pour quoi faire ? Il résolut d’attendre l’achèvement de son portrait pour découvrir le plan machiavélique de ses ennemis. Au cours de cette attente, il dort à nouveau…

À son réveil, il sent son jean complètement collé à ses maigres jambes. Sa tête était lourde. Bon, c’était un autre rêve ou plutôt cauchemar nourri de ses désirs et ses angoisses. Il doit un jour écrire ces rêves, bien ficelés, et en faire une pièce de théâtre « personnelle ». Cette terminologie lui plaît beaucoup. Elle est le fruit de l'« art contemporain » qui permet plus de liberté et ce qu’on appelle, abusivement, créativité. Il doit prendre un café pour stopper ses maux de tête.

Il boit son café en allumant son petit ordinateur. Il a oublié de prendre sa douche. Il se promet qu’après un coup d’œil sur Facebook, il ira faire sa toilette et sortir pour  les courses d’alcool et de hachich.

Il sort après une longue fixation devant le miroir. Tout est normal et ennuyeux y compris son doigt brûlé la nuit d’hier et qui rappel sa maladresse. Il s’assure qu’il n’a rien oublié et surtout ses chaussures. Dans la rue, les regards méfiants et haineux de ses voisins le réconfortent. Il est bien dans le réel.







mercredi 22 janvier 2014

Témoignage – visite à Jabeur Mejri dans la prison (Mahdia - 22 janvier 2014)

Difficile de raconter ma rencontre avec Jabeur Mejri. Difficile de vous décrire le sentiment de voir, finalement, la personne qui, depuis deux ans, j’écris son nom, des dizaines de fois, chaque jour et je répète mentalement ou à haute voix son histoire sans cesse. 

#FreeJabeur #FreeJabeur #FreeJabeur … Une répétition persévérante,  assidue, parfois calme et parfois révoltée, meuble une grande partie de ma vie et celle d'une dizaine de personnes au tour du monde. Depuis plusieurs mois, la machine « #FreeJabeur » m’habite de plus en plus … jusqu’aujourd’hui … peut être aussi pour les mois prochains ou pour quelques jours si tout ira bien.  



Quand j’ai révélé (moi et Olfa Riahi) l’affaire des deux athées de Mahdia, et quand j’ai commencé à l’aide de quelques amis à soutenir Jabeur et à bosser sur sa libération, j’ai toujours pensé à ce moment de rencontre avec Jabeur. Comment il parle ? Comment il pense ? Que cache-t-il derrière le seul sourire qu’on a de lui ? Qu’est ce qu’il a envie de faire ou de dire ? Reste t-il un peu de Jabeur dont sa sœur et Ghazi m’ont parlé ?

Devant la prison de Mahdia, jusqu’à la dernière minute, je ne savais pas que j’allais rentrer vu que mon nom ne figure pas sur la liste nominative dédiée à la délégation de Fédération Internationale des Droits de l’Homme. Devant la prison, Bochra Ben Hamida, première avocate qui accepte, il y a deux ans, de prendre en charge le dossier des deux athées de Mahdia, me prend par la main et force le directeur de la prison à m’accepter parmi le groupe. Quelques instants après, nous étions dans le salon du directeur de la prison. Les battements de mon cœur s’accélèrent ! Dans quelques instants, le nom et la photo de Jabeur prendront forme dans un être humain différent et indépendant de toutes les idées imaginaires que j’ai de lui …. Serais-je déçue ou ravie de découvrir la vraie personne ? Dois-je réellement poser ce genre de questions ? Je m’autocensure en me répétant : L’important est qu’il va bien ! Le plus important est sa libération !

Jabeur rentre dans la pièce, le regard  perdu entre les plusieurs invités pressés à lui serrer la main, tous à la fois. Il prend place et échange le même sourire frustré qu’il reçoit des visages inconnus qui l’entourent. L’air fatigué, Jabeur répond d’une manière standard aux questions : oui, je mange bien, oui je dors bien, oui je vais bien … les premières minutes n’étaient pas évidentes pour lui. Petit à petit, il s’habitue et prend part de la discussion.

Après quelques échanges, Jabeur commence à raconter sa vie dans la prison. Malgré sa petite difficulté de parler, Jabeur explique sa situation de prisonnier d’opinion dans une prison de droit commun « certains comprennent ma situation (différence) et d’autres essayent de m’intimider en me lançant des injures et menaces… je ne reçois plus les lettres que vous envoyez mais la famille me parle de votre soutien … »

Dans sa cellule, Jabeur a droit à trois chaînes de télévision (Hannibal et les deux nationales), à quelques journaux et à ses calmants qui l’aident à dormir. « Arrêter de penser … avoir des moments de repos … c’est tout ce que je cherche ». Pour arriver à se détendre et se calmer, Jabeur n’a pas d’autres choix. Il prend plusieurs médicaments le matin, l’après midi et le soir. Petit à petit, ces calmants lui causent  une difficulté de parler, de marcher, de faire du sport et de dormir naturellement. En prison, on ne vit pas ! On survit et encore … on s’estime heureux d’avoir survécu.

Comme tout prisonnier Jabeur ne pense pas à autre chose qu’à s’en sortir avec le moins de dégâts possibles. « Ma liberté ! Ma liberté ! » Calmement il le réclame et  tristement il confirme : « Je ne pourrais pas avoir ma liberté en Tunisie. Faut que je quitte mon pays ».  La police a emmené Jabeur un certain 5 mars 2012 au poste de police sous prétexte de le protéger des salafistes qui voulaient à l’époque l’égorger … deux ans après son procès inique, le président de la République prétend le garder toujours en prison sous le même prétexte « le protéger ».

Mourir ou quitter ? Jabeur a fait son choix et il a accepté l’exil à l’intérieur de lui-même et loin de la Tunisie. Sa liberté n’est pas possible dans son pays. En dehors des murs de sa cellule, il y a des matons partout,  … à quoi bon sert d’aller d’une prison à une autre plus grande?!

Au cours de notre brève rencontre, Jabeur a répondu à mes questions. Et j’ai pensé en le regardant que Jabeur Mejri n’est pas un mythe ou un mensonge. Il est vrai ! il est ordinaire, simple et vrai sans discours militant ni mesquinerie ni héroïsme ! Jabeur Mejri connait bien le Jabeur que j’ai défendu durant ces plusieurs mois ! S’il était avec nous, il aurait fait les mêmes choix #FreeJabeur! il aurait fait les mêmes dessins, les mêmes articles, il aurait fait le même choix de logo (noir et rouge), les mêmes sit in et les mêmes interviews et vidéos … et parfois il aurait fait les mêmes silences ou lancer les mêmes insultes ! 
 Jabeur nous connait et nous ressemble. Jabeur est quelqu’un de nous …


mercredi 25 décembre 2013

Chaambi : l’autre visage du terrorisme



Le Mont Chaambi ! L’endroit le plus redouté de toute la Tunisie. L’endroit qui s’associe depuis des mois à la mort, au « terrorisme » passe son premier hiver sous les bombardements militaires et les patrouilles régulières des forces spéciales de lutte contre le terrorisme. Entre temps, Kasserine : la ville, les gens et l’histoire changent au dépend de la nouvelle connotation « terroriste ». Le changement passe rapide mais aussi inaperçu par la majorité des tunisiens et les autorités.



A quelques mètres de Chaambi, des petites maisons éparpillées sur les plaines qui entourent le mont. Ici, il fait froid, silencieux et glauque. Malgré la beauté de mère nature, la verdure des oliviers et la fraîcheur de l’air, quelque chose de tendue, d’incroyablement triste plane dans l’atmosphère. Devant une petite maison, une jeune femme, quelques moutons et deux chiens nous accueillent. La famille de la jeune « Noura » est dans une des chambres réunie autour d’un mince foyer de feu de bois. Ils sont neuf dans la famille : les parents, les enfants et deux oncles avec leurs femmes. Ils partagent tous deux chambres et une grande misère. Les femmes au chômage, les hommes alternent entre des travaux d’agriculture et de construction, n’arrivent visiblement pas à subsister aux nécessités de la vie. Sans eau,ni électricité et ni éducation, ils sont depuis toujours presque coupés de la Tunisie. Ici, on parle d’alcool (pour se réchauffer) comme on parle de religion. Ici, on parle aussi de politique avec un énorme « Ils » pour désigner ceux au pouvoir qui « sont tous pareils et qui n’ont rien changé depuis les beys. »


Cette famille, comme plusieurs, a toujours vécu dans la montagne. Leurs allers- retours étaient fréquents au point que les plus vieux connaissaient le moindre détail de la complexité géographique qui les entoure.  Depuis plus de 7 mois, le mont Chaambi est classé inaccessible pour ses amis. Pire encore, ces spécialistes de Chaambi n’ont été à aucun moment approché par les militaires pour des renseignements. « J’hallucine quand je vois les militaires piégés par les terroristes alors que les gens ici connaissent le terrain… nous savons tout sur la montagne. Les grottes qui datent des romains, les tunnels construits par les italiens et les français au moment de l’exploitation minière de la plombe. » affirme Ali, père de la famille. Lui, il se bat tous les jours avec les gardes de forestiers qui leur interdisent l’accès à la montagne pour récupérer du bois.





« Le terrorisme existe à chaambi, si non, pourquoi les militaires font des bombardements réguliers et pourquoi ils l’encerclent. Mais nous n’avons jamais vu de terroristes ni de loin, ni de près ». nous explique la maman. Le problème de ces villageois est qu’ils sont parfois traités de terroristes. C’est ce que nous a confirmé Ali « un des gardes forestiers me l’a dit un jour devant des soldats ! Qui d’autres à part vous ont vu les terroristes défilaient un à un à la montagne !... c’est qu’il m’a dit en oubliant que garder la montagne est son travail. Et en oubliant que les armes ont passé les frontières devant les yeux des autorités. » Quel est, donc, le crime de ces gens, si ce n’’est  le destin qui les a associé depuis des lustres à Chaambi.


Par habitude, les villageois continuent à assumer leur sort. Dans un monde où la pauvreté est devenue un crime, ces marginaux continuent à s’adapter avec la nouvelle accusation ou encore cette nouvelle identité de « potentiel terroriste ». « Ceci n’est pas un souci. Le vrai cauchemar serait une intervention militaire étrangère » avouent Ali et sa femme.


Dans la ville, de Kasserine, l’ambiance est toujours la même. Une dépression générale s’empare de la ville depuis des années. Cette attitude qui empêche les kasserinois de faire la fête, d’oublier la misère et d’espérer un futur meilleur est devenue presque héréditaire. Une impossible amnésie en dehors des bars ouverts même le matin de ce destin fatal. Rabii Gharsalli, 31 ans, journaliste citoyen, nous parle longuement de cette autre facette de terrorisme. « Que sera le destin des centaines d’enfants de poubelles et des bidonvilles? Si ça ne sera pas le terrorisme, ça sera certainement la délinquance. » Nous confit Rabii sans vouloir justifier les recrutements récents d’Annsar Al Chariaa à Chammbi.


En fait, les jeunes kasserinois recrutés depuis des mois par le terrorisme sont en majorité des lycéens. Ils sont brillants dans les études et viennent des quartiers les plus démunis de la ville ou encore de la Tunisie. Cité zouhour, cité Nour et leurs périphéries sont les fiefs du salafisme jihadiste. Après qu’ils étaient les origines d’une révolte populaire, ces quartiers sont devenus les origines de la contre révolution. Anwer Nsibi, jeune de 17 ans, disparu dans les grottes de Chaambi depuis 7 mois, venait d’envoyer un message à ses parents « je vous aime ! Pardonnez ce que je vais faire dans les prochains jours ». Son cousin, Mohammed Ali Nessibi, acutellement arrêté par la brigade anti terroriste, était le porteur de message.  Sa famille fait un embargo sur la famille de « terroriste » et du père qui aurait balancé le cousin soupçonné de collaborer avec Anwer. Dans le salon de la famille d’Anwer, la mère pleurait en essayant de se justifier « je ne savais pas qu’il partait à Chaambi. Comment ça se fait qu’il parte alors que tout allait bien ici … » disait la mère. Après un premier refus de nous voir, Hleili, père d’Anwer a accepté de témoigner « j’ai l’impression parfois que cette histoire de terrorisme à Chaambi est fabriquée de toute pièce. S’il existe vraiment des terroristes, qu’ils nous laissent aller les confronter… j’rai avec plaisir pour mon pays. J’irai avec un bâton, une pierre, peu n’importe. »




interview avec les parents d'Anwer Nsibi (lien youtube: image de Bruno Giuliani)


La famille est suivie par tout le monde. Les voisins, les cousins qui les accusent de balancer les autres jeunes du quartier et la police qui les soupçonne de cacher des informations sur le fils devenu très récemment  jihadiste. Au delà de cette crise dont la famille souffre, le manque de communication et de suivie de l’adolescent Anwer leur a couté cher. Cet adolescent avait commis l’erreur de fréquenter la mosquée de Rahma, dirigée par les salafistes les plus radicaux de Kasserine. « Les bombardements, les menaces et la prison ne seront jamais une solution. C’est des gamins ! L’Etat en est responsable ! Si jamais l’Etat promet une réintégration sociale à mon fils et ses semblables, je suis certains qu’ils reviendront. Ici la vie, le minimum de dignité et d’espoir… qu’est ce qu’ils les oblige de rester là où tout le monde est parti même les animaux… »  Explique Hleili avec beaucoup d’énervement mais aussi d’ignorance du fait que son fils et ses camarades sont considérés depuis des mois comme ennemies de la nation.


C’est justement ces ennemies, invisibles, qui condamnent la montagne et toute une ville au sort fatale du terrorisme. En oubliant, petit à petit, le visage humain de Chaambi, tout le monde et principalement le système prend l’habitude de banaliser les dommages collatéraux qui nourrissent directement ou indirectement les racines de la problématique : la pauvreté. Rabbi Gharsalli, continue à nous accompagner à travers la ville. L’une de nos balades nous a emmené à une vue panoramique sur Chaambi et les deux montagnes qui l’entourent. Rabii travaille, souvent, des reportages sur les villageois et les pauvres de Kasserine. Depuis trois ans, il a lancé une page facebook, la plus connue dans la ville dans laquelle il expose les nouveautés de la ville oubliée par le reste du monde. Cette porte parole locale des misères kasserinoises, était plusieurs fois arrêtées par les autorités. « On m’interdit de filmer et de parler de Chaambi » explique Rabii. Vis-à-vis de plusieurs journalistes étrangers, le jeune journaliste autodidacte regrette que « la majorité écrasante des médias étrangers et nationaux ne parlent que de terrorisme à Kasserine. Ils restent silencieux devant la pauvreté, la vraie source du mal… et n’essayent pas de comprendre ou  d’aller plus loin dans l’analyse… » Mais comment faire alors ? Sans trop savoir comment s’y prendre à cette nouvelle situation, Rabii, garde seulement cette certitude  « Chaambi a une autre histoire à raconter.. il a un autre visage différent du terrorisme. Mon devoir est de révéler au monde entier cette vérité. »


Rabii Gharssali 


Rabbi, ce jeune kasserinois, a vu son ami intime tué à côté de lui lors d’une manifestation le 9 janvier 2011. Pour lui, les vérités sont proportionnées. Le terrorisme est à Chaambi mais Chaambi n’est pas terroriste. « Les autorités ne disent pas toujours la vérité. Il y a trois ans, ils ont tué nos frères en les traitants de terroristes» Confus et angoissé, le jeune ne peut pas tout dire à des journalistes. La semaine dernière, il est passé sur une chaine française à visage découvert dans un reportage sur les salafistes. Ce passage lui a couté plusieurs jours de problèmes et de menaces dans la ville. Comme les villageois, son image est associée à celle des terroristes.
Rabii et plusieurs autres citoyens à Kasserine voulaient nous parler de ce qu’ils voient dans leur ville. Mais ils ne pouvaient pas. Les témoignages étaient ponctués systématiquement par des silences de peur et d’incertitude. Des silences accompagnés par des regards chargés de haine et de méfiance. Tout au long de notre séjour, nous étions suivis par des individus nommés « police civile » qui nous ont fait comprendre que le temps de l’angoisse est de retour à Kasserine et en Tunisie.


Crédit photo : Bruno Giuliani


lundi 30 septembre 2013

Rassemblement à Kairouan pour la libération du rappeur Klay BBJ

Ce matin, lundi 30 septembre 2013, un groupe de jeunes indépendants a organisé un rassemblement devant le tribunal de Kairouan pour contester contre ce « terrorisme d’Etat » qui étouffe la liberté d'expression. La principale demande du rassemblement était la libération du rappeur Klay BBJ.

Depuis des mois, les procès contre les forces révolutionnaires en Tunisie ne finissent pas. Après le procès politique contre les deux jeunes de Mahdia Jabeur Mejri et Ghazi Béji, condamnés à 7 ans et demi de prison, nous avons vu des rappeurs condamnés pour des chansons, et une activiste féministe Amina poursuivie par la justice pour avoir exprimer son avis pacifiquement. Sans oublier les jeunes des cartiers qui ont brûlé les postes de police dans leurs régions pour réussir cette révolution entre le 11 et le 15 janvier 2011 et qui croupissent dans les prisons tunisiennes avec des condamnations qui varient entre 10 et 20 ans de prison ferme.  

Les dernières arrestations de huit activistes et artistes à Tunis (4 seulement sont acquittés) et l’emprisonnement du rappeur Klay BBJ de 6 mois de prison ferme pour une chanson sont la goutte d’eau qui fait déborder le vase.





Le rappeur BBJ a été condamné, jeudi 26 septembre 2013, à six mois de prison pour avoir traité les policiers de "chiens" lors d'un concert à Hammamet cet été. Il était accusé d'outrage à des fonctionnaires, atteinte aux bonnes mœurs et diffamation. L'autre jeune rappeur avec qui il se trouvait sur scène, Weld el 15, avait déjà été condamné cet été à 21 mois de prison ferme pour les mêmes accusations. Il est aujourd'hui en fuite en attendant des garanties d’un procès juste et loin des calculs politiques selon ses dires.

devant le tribunal à Kairouan 

Le comité de soutien de Klay BBJ et de Weld el 15 a annoncé, cet après midi, qu’il a demandé à travers l'avocat du rappeur une demande d’appel en cassation.

Entre temps, la mobilisation continue pour la libération du rappeur mais aussi pour tous les autres prisonniers d’opinion et de la révolution en Tunisie. Dans un climat politique très tendu, les activistes tunisiens considèrent que la justice est toujours instrumentalisée à des fins politiques. 

A suivre .... 

mardi 28 mai 2013

Amina : la nouvelle martyre de la Tunisie postrévolutionnaire



En Mars dernier, Amina Tailer, jeune tunisienne, 19 ans, a posé seins nus, sur facebook pour dénoncer le sort de la femme en général dans son pays. Depuis, elle est devenue sujet de polémique, de menaces et de soutiens en Tunisie et à l’étranger. Le 19 mai 2013, Amina a participé à une manifestation de salafistes à Kairouan (ville au centre du pays).  Elle a tagué « Femen » (l’association qu’elle représente en Tunisie) et la police l’a arrêté. Elle risque d’essuyer une sanction  de deux ans et demi de prison pour « port de bombe lacrymogène et profanation de sépulture ». Son procès est programmé sur le 30 mai à Kairouan. 

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Au début, elle m’a choqué et j’ai cru à une manipulation derrière ce qu’elle a fait. J’ai vu ses photos et j’ai lu ses mots, et j’ai senti un mélange de peur, de jalousie et de culpabilité. Et je suis restée perplexe quelques jours devant le fait accomplis : Amina s’est dénudée et elle a envoyé chier la religion, la morale, les traditions et les tabous. 

Quoi de plus courageux, de plus direct et de plus suicidaire ? 



Quand je pense et je repense à tous les problèmes de la femme dans ma société : sexisme, violence, violence sexuelle, inégalité des chances, et surtout le silence affreux qui entoure tout ça, je me rend à l’évidence que parler, sensibiliser, écrire, manifester, organiser les colloques et booster les lobbying , etc .. c’est bien, mais c’est pas suffisant. Alors pourquoi ne pas laisser Amina faire ce qu’elle voit utile pour sa cause ? Qui a le droit de dicter à tout le monde, la bonne et unique manière de militer ? 

Je ne crois plus aux discours, et je crois en moins en moins aux méthodes douces de « négocier, faire une pression et puis avancer … ». Dans ma société, la majorité pense que la démocratie ne concerne pas la femme. Que l’égalité du genre n’est pas conforme à nos traditions et à notre religion (spécificité culturelle). La majorité pense que Amina est une criminelle ou une folle juste parce qu’elle a mis à nu nos complexes, nos morale hypocrite et misogyne. Que faut-il faire devant toute cette injustice ? 

Plusieurs disent qu’Amina est folle ou elle n’a pas les outils intellectuels suffisants pour argumenter et justifier ses actes. Je rappel à ces personnes que les plus grands savants, militants, penseurs, philosophes, artistes et révolutionnaires étaient taxés de cette même folie quand ils ont essayé de casser les tabous de leurs sociétés. 

Pour les outils intellectuels et les années de militantismes qu’on doit avoir pour hurler haut et fort « NOOOOOONNN », je cite un seul exemple que nous connaissons tous : Mohammed Bouazizi. Ce jeune homme qui s’est immolé, il y a trois ans, et a fait explosé une rage contagieuse pas seulement en Tunisie mais aussi dans tout le monde arabe (loin des théories de complots et des transitions politiques confisqués par les islamistes ...). Ce jeune homme, vendeur ambulant à Sidi Bouzid, avait-il les moyens intellectuels pour expliquer sa révolte ? Avions-nous, au départ, la capacité de comprendre son suicide et la profondeur de sa rage?  Au départ, plusieurs l’ont accusé de folie. D’autres ont dit tout simplement : « son acte est destructif, ça ne ramène à rien… » Ça ne vous rappel rien tout ça ? 

Je soutiens Amina, parce que, dans son acte suicidaire, et dans son désespoir, elle fait naitre une volonté de discuter ouvertement de la cause féministe, autrement et pas comme on nous l’a imposé depuis des décennies. Avec ses sacrifices (d’avoir une vie normale, des parents fiers d’elle et un avenir comme les autres..), Amina nous donne une leçon de courage et de pertinence : aller directement au but ou encore remuer avec toute sa main (et non seulement le doigt) la merde qui repose paisiblement depuis des siècles dans nos esprits. 

Je suis maintenant convaincue qu’il faut la soutenir et la défendre et pourquoi pas faire comme elle : dénuder les complexes de la société et du pouvoir. 

Je soutien Amina même si elle est manipulée (par Femen ou autres..). Je la soutien même si elle va se réjouir (après son procès) d’une immigration parfaite en France. Je la défends même si son acte ne va mener à rien. Qui de nous n’a pas ses intentions cachées, ses rêves, son désespoir, et ses échecs ? Je la défends pour le principe :

 Garantir aux tunisiens (et surtout aux femmes)  le droit de s’exprimer librement sans tabous

Je n’adhère pas au discours du père d’Amina (ma fille est perdue et abandonnée comme toute la jeunesse tunisienne) et je n’adhère pas aussi à l’avis des gens qui la défendent en disant « elle n’est pas responsable. C’est une gamine que nous devons soigner et non pas mettre en prison.. » et je suis contre bien sur les malades qui pensent qu’elle doit être jugé sévèrement comme le dit le Ministre des Droits de l’Homme, Samir Dilou. 

Je défends Amina, la femme libre de penser et de s’exprimer sans contrainte (ni religieuse, ni morale et ni politique) 

Je défends Amina, la tunisienne qui a dit « NON » aux sources de tous ses maux (ceux aussi des travailleuses, des paysannes, des élites et des marginaux…) : la religion, les traditions et les tabous. 

Pour soutenir Amina, signez cette pétition : lien

lundi 21 janvier 2013

Affaire de Saber Meraihi: l'Etat continue à punir les jeunes de la révolution



Depuis Avril 2012, un jeune tunisien, Saber Meraihi, est en prison. Accusé de tentative de meurtre et de vandalisme, le jeune de 25 ans, risque de passer 25 ans en prison. En Plus, il n’a même pas eu la chance de se défendre face aux accusations de son adversaire, un policier, qui prétend l’avoir reconnu à travers une vidéo publiée sur facebook. Les accusations sont lourdes mais aussi dangereuses puisque sans preuves. L’affaire a pris de l’ampleur surtout que des activistes tunisiens et la famille de Sabeur commencent à en parler aux médias et sur les réseaux sociaux.  



Après un passage à la télévision de la sœur de Saber Meraihi, l’activiste Azyz Ammami a publié sur sa page facebook le dossier juridique de l’inculpé. Les révélations du dossier laissent des questions troublantes quant à l’objectivité de l’interrogatoire et de l’investigation faite par le juge de l'instruction qui a suivi l’affaire.

Les évènements de l’affaire se sont déroulés lors de la révolution. Dans une période où le peuple tunisien a assuré la sécurité des quartiers et des biens publics. Tout le monde se rappelle de cette période, où tous les hommes des quartiers ont veillé des nuits entières pour protéger le pays des milices qui ont essayé, d’après des sources officielles, de semer la terreur et d’instaurer l’anarchie en Tunisie. Ainsi, et avec la coopération de l’armée tunisienne, les comités de protection des quartiers, étaient autorisés officieusement à contrôler toutes les voitures qui circulent pendant la nuit. Vérification des papiers et contrôle des voitures ont aidé à capturer plusieurs groupes armés. Certaines vidéos sur facebook et autres reportages télévisés ont documenté cette période où le peuple était le héros de la révolution tunisienne. 

Revenant à l’affaire de Saber Meraihi. Il est, justement, accusé d’avoir agressé un policier et de voler et brûler sa voiture lors d’une opération de contrôle dirigée par un comité de protection de l’un des  quartiers d’Ibn Sina. Le policier a été agressé le 16 Janvier 2011 mais a décidé de porter plainte, plusieurs mois après, soit en avril 2011. De là commence un flou qui marque toutes les étapes de l’affaire.

Pour faire court et pour expliquer l’affaire, rapidement, aux lecteurs, nous allons relater simplement les remarques, les plus importantes, d’Ibrahim Boudirbala, l’avocat de Saber Meraihi, transcrites en arabe dans la demande (que vous trouverez en fin de l’article)  de libération et de cassation rédigée à l’intention de la cours de cassation à Tunis:

-        -  Le plaignant a porté plainte en se basant sur une vidéo, publiée sur facebook, qui montre, sans précision, des jeunes d’un comité de protection d’un quartier populaire en train d’insulter deux policiers capturés par l’armée. La vidéo n’a aucune relation avec les faits du 16 janvier. De ce fait, il est impossible d’établir un lien entre cette affaire et la vidéo présentée comme preuve qui condamne Saber Meraihi.
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     - Le juge d’instruction n’a pas inclus la défense de l’accusé dans son rapport ce qui fausse les conclusions du rapport et le jugement en lui-même.

-         - Le jugement est basé exclusivement sur les témoignages du plaignant et ses accusations.

-       -   Plusieurs passages du témoignage du plaignant sont contradictoires et manquent de pertinence (exemple : il prétend être agressé par des couteaux alors que son certificat médical lui donne seulement 10 et 20 jours de repos. Il précise qu’il était agressé par plusieurs personnes et qu’il ne se rappel pas des visages puis prétend se rappeler du visage de Saber uniquement)

Reste une précision importante à signaler : Saber Meraihi n’habite pas le même quartier où le plaignant a été agressé.

D’un autre côté, plusieurs habitants du quartier de Saber ont signé une pétition attestant la bonne conduite de Saber surtout durant la période où il était responsable du comité de la protection de son quartier. Les habitants témoignent aussi, dans ce même document, que Saber n’était pas présent  sur les lieux où se sont déroulées les agressions contre le policier plaignant dans cette affaire.

Ce que plusieurs tunisiens ignorent, malheureusement, est que des centaines de jeunes sont dans le même cas de Saber Meraihi. Après avoir participé aux évènements de la révolution, ces jeunes (que nous avons remercié vaguement pour leur courage) se trouvent en prison parce qu’ils ont brûlé un poste de police ou parce qu’ils ont lancé des pierres dans une manifestation ou parce que les policiers du quartier veulent simplement se venger. Il est facile de punir ceux qui veulent faire tomber le système. Il est facile de réinstaurer la peur et la soumission d’un peuple parce que  sans justice, et sans médias indépendants, il est impossible de réussir une révolution.







l'attestation des habitants du quartier de Saber Meraihi: