dimanche 26 février 2012

Hommage à un spécialiste des poubelles


Il se lave les mains et le visage. Il porte son manteau, se dirige vers la porte et sort en silence. Le chemin est long et il fait un froid de chien. Il allume une première cigarette… il s’arrête, le silence autour de lui, permet d’entendre de loin les aboiements des chiens 

La nuit ! C’est lourd ! C’est triste … surtout quand il fait froid ! 

Il fini son travail souvent tard la nuit. Et il lui arrive de bosser quelques semaines consécutives durant la nuit. Il est spécialiste de poubelles. Il connait toutes les odeurs de tout ce qu’on jette dans les rues. Sans même regarder, il peut dénombrer toutes les nourritures pourries qui se mélangent dans les sacs plastiques noirs. Il garde souvent  une odeur particulière qui lui colle à la peau comme le destin. Une odeur que lui, seul, peut sentir. 

 Il pense souvent que son odeur est une humiliation ou plutôt à une malédiction éternelle … mais il s’adapte ! De toute façon,  tout le monde s’adapte ! Et parfois on fait mieux, on aime ce qu’on fait … 

Lui, ce qu’il aime le plus est le fait qu’il puisse lire les histoires des autres à travers leurs poubelles. Chaque sac noir porte dans ses entrailles une histoire particulière. Parfois une séparation, parfois une union, parfois une naissance et parfois une perte. Il reconnait à travers les poubelles, ce que les autres ont mangé la veille. Il reconnait aussi ce qu’ils ont fêté … il découvre ce qu’ils veulent cacher ou oublier … et il identifie les discrets et ceux prétentieux … 



 Il reconnait facilement les poubelles des nouveaux mariés par les marmites brûlées et jetés entières avec leurs contenus ratés. Et comme il adore les bébés, il trouve presque un plaisir à sentir les couches sales … et se rappel, avec amertume, de son ex-fiancée, Fatiha. Même si elle l’a quitté après cinq ans, il ne peut pas la blâmer. Car patienter pour un homme complètement fauché  demande beaucoup de courage. Mais garder son courage quand on est pauvre, n’est pas facile… Il le sait. Fatiha est aujourd’hui mariée avec un ouvrier d’usine qui a réussi à meubler la chambre à coucher et la cuisine.  

Les poubelles racontent plusieurs histoires sur les gens, les quartiers et la ville. Les weekends, il se sent provoquer par la senteur de l’alcool. Entre les bouteilles vertes et les grandes bouteilles rouges, il a passé plusieurs soirées de prudence. Devenir un professionnel de poubelle demande des années d’expérience. Et il y a aussi un prix à payer dans chaque aventure. Il n’oubliera jamais le jour où, débutant, il s’est mutilé un doigt par une bouteille d’alcool cassée … il n’aime pas boire, lui. Il préfère manger bien ou dormir bien … 

 Il sent une tristesse immense quand il trouve des photos de couples déchirées … il regarde autour de lui dans l’espoir de voir les personnages des photos pour juste leur dire qu’ils vont très bien ensemble et que la vie est triste sans l’autre moitié... Mais hélas, il fait noir et tout le monde dort … la rue est vide et toutes les portes sont fermées. 

Etre professionnel de poubelles est aussi avoir le reflexe d’être discret et respectueux de l’intimité des autres. Combien de fois, il a fourni un effort énorme pour dissiper l’attention de ces camarades sur les culottes salies des vielles dames ou des adolescentes. Pour s’adapter à son métier, il n’arrête pas d’imaginer les autres à travers leurs poubelles. A côté des foyers universitaires, il a l’habitude de sourire même si c’est dégoutant en ramassant discrètement les préservatifs usés ou les serviettes d’hygiène mal fermées …  

Mais les pires périodes de travail, sont les nuits ramadanesques, les périodes d’Aid Kabir et le réveillon. Durant ces périodes, les odeurs deviennent intenses et terriblement aigues. Dans ces périodes, il s’efforce à comprendre la différence entre avoir faim et manger la moitié de ce qu’on cuisine … 

Il arrive enfin, chez lui. Pour cacher la saleté des murs de sa chambre, il a collectionné soigneusement les posters des belles femmes nues et des footballeurs. Il a trouvé ces posters, parfois intacts, dans les poubelles de quelques quartiers modernes. 

Allongé sur son lit, il fume sa dernière cigarette et essaie avec toutes ses forces d’effacer mentalement les plusieurs odeurs collées à sa peau … sans réussir

jeudi 16 février 2012

Tunisie : nos journalistes sont-ils prêts à défendre la liberté d’expression ?


Polémique ! Encore une autre polémique autour des médias, des bonnes mœurs, de la censure et d’Allah. Hier, mercredi 15 février 2012, le journal Attounissia, a publié sur sa Une la photo de « Sami Khedira » joueur de foot d’origine tunisienne et sa femme presque nue. 

Les autorités ont réagi très vite face à cette publication qu’elle considère choquante. Le proprio du journal, le rédacteur en chef et le journaliste, auteur de l’article ont été maintenus en garde à vue, hier, dans les services de protections des bonnes mœurs à Bouchoucha. Le journal est aussi suspendu…

Donc, en fait, le procureur de la République, qu’on a cru mort (ou rumeur comme les snipeurs) est sorti de son silence hibernal et a montré son efficacité. Cela me rappelle la dernière opération qu’il a menée en toute rapidité et qui concernait la haute trahison de Arbi Nasra (propriétaire de Hannibal TV), mystérieusement et très vite relâché par les autorités tunisiennes.




Ma question est la suivante : pourquoi l’efficacité du procureur de la République n’a jamais concerné les dossiers de la révolution. Pourquoi ce haut fonctionnaire ou son ministère de la justice ne travaillent pas avec la même ardeur pour arrêter les tueurs de la jeunesse tunisienne ? Le gouvernement actuel (PROVISOIRE) considère-t-il une photo de nu plus dangereuse que la corruption, le crime et le terrorisme ?

Hier, j’étais avec quelques confrères, qui, sans se poser la moindre question, étaient contents et fiers de la décision gouvernementale. « Iyah fihom !! yestahlou ! » (bien fait pour leurs gueules) on-ilst lancé en ajoutant que la photo publiée est contre la loi.

De quelle loi, parlent-ils ? Je ne sais pas … et même si elle existe, elle doit être l’une des armes tranchantes de censure bête et arrogante imposée par le régime de Zaba ! À ma connaissance, le code de la presse est suspendu comme toute la constitution en attendant que l’Assemblée Constituante nous écrive de nouvelles lois à la hauteur d’une nouvelle démocratie qu’on espère réelle. Donc en se basant sur quelle loi, le procureur de la république a-t-il ordonné l’arrestation des journalistes d’Attounsia ? 


Mais hélas, il paraît que même les journalistes (les premiers concernés par cette affaire) ne veulent pas de la liberté d’expression. « Non, nous voulons une liberté d’expression responsable. Une liberté qui a des limites» disent-ils. Une liberté d’expression qui ne touche pas au sacré, aux croyances et à la pudeur…

Début de cette semaine, j’étais en formation en journalisme. Lors du déjeuner, j’ai discuté avec une journaliste française et une autre tunisienne (francophone) l’affaire de Nessma TV et le film Persépolis. Et la position de la journaliste (qui m’a demandé en arabe de ne pas parler de cette affaire devant une étrangère) m’a gravement déçue. « Nous sommes musulmans ! Nous ne devons pas tolérer ce genre de films dans notre pays. »
Conformisme, hypocrisie ou lâcheté ? Je n’arrête pas de me poser cette question. Et puis, d’autres questions qui me révoltent : est-ce que nos journalistes comprennent vraiment ce que c’est d’être journaliste ? Quel rôle à jouer dans la société ? Quels principes défendre ? Quelles sont les limites qu’il ne doit pas surpasser ? Y a-t-il une limite déjà ? Et si elle existe, doit-elle être exigée par l’Etat, le gouvernement, l’opinion publique ou la religion ?

Encore hier, et loin de cette polémique, Mohamed Abou, ministre PROVISOIRE de la réforme administrative, a participé à une conférence sur la neutralité de l’administration tunisienne. De tous les points qu’il devait discuter avec les hommes d’affaires présents, il a choisi de s’étaler sur une critique, vraiment, arrogante et bête, des médias en Tunisie. « Je suis avec la liberté de la presse mais pas celle qui donne une mauvaise image de la Tunisie. Nos journalistes ne parlent que de salafistes et de menace terroriste qui n’existe pas … heureusement que nos amis étrangers n’écoutent pas ces mensonges… » Je ne sais pas sur quelle planète gouverne Abou mais il paraît que c’est un abonné fidèle aux pages islamistes de Facebook.

Ce qui m’énerve le plus dans cette histoire est la volonté déterminée du gouvernement de discréditer la presse, de diviser le peuple tunisien et d’étouffer la liberté d’expression.

Le problème est que les simples d’esprit qui défendent aujourd’hui la protection des bonnes mœurs ne se rendent pas compte qu’ils seront la prochaine cible de la censure. Ils ne comprennent pas (ou ne veulent pas comprendre) que la religion ou les mœurs ne sont que l’excuse traditionnelle (utilisée aussi par Ben Ali) de toutes les dictatures du monde pour faire taire les peuples à jamais …