jeudi 9 février 2012

Tunisiens : le Sénégal vous concerne !


C’est mon dernier jour à Dakar. Je n’arrête pas de penser à la Tunisie. Ce petit pays qui va de plus en plus mal. A des milliers de kilomètres, je me sens gelée par le froid qui s’acharne sur les terres et les âmes. La chaleur de  la « téranga » sénégalaise m’étouffe … peut être… ou me culpabilise. 

Je rentre demain ! J’ai déjà raté mon vol et je le regrette !  et j’ai hate d’aller à Ain Drahem, Kef et Siliana pour partager une misère qui m’appartient … même si celle des autres me concerne. 

 Mon séjour à Dakar m’a beaucoup appris. Il m’a appris sur le Sénégal mais aussi sur, mon propre pays, la Tunisie. Au début, entourée par des journalistes professionnels du Web, j’ai pas réussi à trouver des réponses crédibles, à mes yeux, à plusieurs questions qui me tourmentent. 

Pourquoi malgré la corruption, le mensonge, le ridicule et la cruauté du régime, les sénégalais ne bougent pas d’une manière déterminante et ne mettent pas fin à cette mascarade qui s’appelle « Wade »? 

Pourquoi malgré une presse libre qui évoque tous les sujets sensibles, la dictature ou plutôt l’oligarchie s’empare encore du pays et garde la main mise sur les richesses en privant le peuple sénégalais (de plus en plus pauvre) de son droit à une vie digne ? 

J’ai cherché … et j’ai trouvé… le contact de quelques activistes indépendants. Ils m’ont apporté des réponses effrayantes sur la réalité des choses. 
« Les gens ne réagissent pas parce qu’ils ont peur … de la confrontation avec la police … mais parce qu'ils ont peur de la colère des marabouts. » me dit «Fary Moreira Ndao», un activiste sénégalais indépendant. 

Depuis des années, les confréries se sont fait une place stratégique au Sénégal. La confrérie  « des mourides », la plus connue, dans le pays, compte des milliers de disciples. Le « Khalifa » des mourides a un pouvoir absolu sur ses disciples, sur les politiciens, les médias et même sur le grand « Dieu »…
Tout le monde écoute le « Khalifa » et ne contredit jamais sa volonté.

« Les marabouts sont les plus riches du pays. Ils ont même lancé des affaires dans plusieurs secteurs. Ils puisent leurs richesses des « Hadya » (les cadeaux en français) de leurs disciples » explique l’activiste.

Le problème est que ces cadeaux sont offerts aussi par des politiciens. Les marabouts  acceptent les cadeaux achetés par l’argent du contribuable et rendent service aux politiciens en empoisonnant le peuple (surtout les jeunes) par des messages « religieux » difficiles à contre dire. 

« Les marabouts n’arrêtent pas d’appeler à « la paix » … de dire que manifester, protester, et se révolter n’est pas bien. C’est Haram ! Si vous le faites, vous ne serez plus « mourides » … » me raconte Fary en ajoutant que les gens, en écoutant, ces discours, se laissent manipuler. 

Bien sur les marabouts veulent à tout prix garder le statut quo, parce qu’il est à leur faveur. Ils ont le pouvoir, l’argent et jouissent d’un privilège rare dans la société. Ils avortent alors, toute tentative de changement même si elle est pacifiste, démocratique et légitime. 

Lors de la validation de la candidature de Wade (président pendant deux mandats), les marabouts n’ont pas caché leur soutien au « vieux sage » qui s'est proclamé « mourides », dès le premier jour de son règne,  pour gagner leur appui et la sympathie du peuple sénégalais.  

« Et pourquoi vous ne critiquez pas cette ordure de marabouts ? Pourquoi vous n’essayer pas de discuter avec les gens et de montrer le mensonge du  Khalifa » criais- je naïvement. 

« Parce qu’avec la religion … on ne discute pas ! » me répond calmement Fary. 

C’est cette phrase, pourtant, simple, évidente et logique (pour des centaines que je connais),  qui m’a prolongé dans une réflexion inquiète et traumatisée sur la Tunisie. 

Ce mélange entre religion et politique, qui ne passe forcément pas par la constitution (la constitution sénégalaise est laïque), « est fatalement dangereux ! Vous ne devez pas gouter à cette drogue ! » dit « Mohamed », un autre activiste, en s’adressant  à moi et à tous les tunisiens. 

 Quand une manifestation devient haram ! Quand un martyr devient un « non musulman » et un mauvais exemple parce qu’il s’est mis en danger et c’est haram … quand tout sera expliqué par le mystique et lorsque tout sera régi par le sacré … il y aura plus de place à la liberté, à la démocratie et à la paix. 

Une paix qui veut dire selon ces militants « une égalité de chance, une justice sociale, un marché ouvert aux jeunes, une bonne éducation, des services publics accessibles à tout le monde … les marabouts qui sont dans la richesse ne voient pas la misère du peuple et parlent d’une autre paix qui consiste à rester docile et à ne pas porter d’armes (même intellectuelles) contre le pouvoir… ». 


le lendemain de cette rencontre, j’ai assisté à la manifestation des opposants contre la candidature de Wade. Et j’ai découvert que l’opposition est lâche, complaisante avec le régime et pas du tout crédible… une autre réflexion à mon petit pays qui souffre de la même maladie.

Que faire ?

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