lundi 4 juillet 2011

Zeineb: « entre la prison et la liberté, je préfère ne plus me taire ! »



Elle s’appelle Zeineb. Une silhouette maigre qui se cache derrière un hijab et une longue jupe en blanc. Le regard fier, les lèvres souriantes mais avec amertume et le visage un peu noirci par un lourd fardeau d’un vécu pas du tout commun. Zeineb avance et se dresse devant la salle. 

C’était un jour où on a décidé de rendre hommage à la femme militante et aux mères des martyrs. La salle de réunion dans un hôtel chic au centre ville, était pleine de longues et courtes jupes. Noir, blanc, rose et même transparent, les couleurs et les odeurs des parfums se sont mélangés et ont, pour une fois, accepté de s’harmoniser pour honorer la Femme. 

La première partie de la cérémonie était consacrée aux témoignages. Des anciennes prisonnières politique ont défilé, des femmes et des mères de martyrs ont pleuré en racontant leur souffrance... Mais Zeineb a choisi de sourire … elle avance vers le podium. 


Des conversations par ici, des rires par là … les invitées ne prêtaient pas attention à cette maigre voilée lorsqu’elle a commencé à raconter : Tout a débuté lorsque j’avais à peine 25 ans. Depuis mes 17 ans, j’étais activiste dans une association locale qu’on a retiré son visa après quelques années. Un jour, de retour de mon travail, deux policiers m’arrêtent et on me transfert à Bouchoucha. 

Sans interrogatoire, on me fait signer des papiers que je n’ai jamais lus. On me laisse nue dans une chambre sans couverture ni lit. C’était en janvier, il faisait un froid de chien. On me donne pas à manger. Au bout de quelques jours je m'évanouis … c’était heureusement ou malheureusement le jour de mon procès.  
Devant le juge, mon avocat a donné les preuves de mon innocence. Après quelques minutes du silence, le juge me condamne à 6 ans de prisons. Sous le choc, l’avocat proteste et le juge lui dit « occupe toi de tes affaires et boucle la ». Assommée par la nouvelle, ma famille passe à la cour d’appel mais l’affaire s’arrête là et la soit disant justice refuse de revoir mon dossier … 

Un soupir puis un silence. Cette fois, les présentes se taisent. Quelques unes sous le choc et d’autres avec l’amertume de plusieurs souvenirs similaires… 

 J’ai visité toutes les prisons tunisiennes. A chaque fois, on me transfert à une prison encore plus lointaine de ma famille. La prison ? Il y avait de tout, des mères avec des enfants, des femmes enceintes, des vielles et des jeunes. Il n’y avait que deux types de prisonnières. Celles de droits communs et celles « des bonnes mœurs ». 

En prison on nous interdit tout : la lecture, l’écriture, le téléphone, la télévision, l’eau chaude, la communication entre nous … 

Les enfants ?  Ils étaient nombreux à assister aux scènes de violence quotidiennes, à écouter les histoires horribles de torture et de souffrance et à vivre dans les mêmes conditions pénibles de la prison. 

Chaque semaine, on avait droit à une visite sauf quelques unes que le système a décidé de les punir doublement… après des mois d’attentes, j’ai réussi à avoir une visite qui normalement dure 10 ou 15 minutes.  En réalité, ce n’était pas le cas. Derrière les barreaux, j’ai vu pendant 5 minutes ma mère et ma sœur encerclées par les gardiennes. Depuis, les visites deviennent de plus en plus rares et courtes … 


Un médecin ? Jamais je n’ai entendu parler d’un médecin en prison. Je me rappel du jour où j’étais obligée d’arracher, toute seule, une dent après des jours de douleurs insupportables… et je rappel qu’il y avait des enfants en prison sans médecin … 

J’ai passé mes plus belles années à la prison. Mais le pire, n’était pas l’incarnation et la punition physique. Le pire est venu après ma libération. J’étais interdite de voyage, de déplacement et de travail …
Chaque jour, je devais passer au poste de police pour signer. Une première fois à 8h du matin et une deuxième à 18h.  Je passais la moitié de mon temps dans la salle d’accueil du poste de police, attendant le commissaire pour valider ma signature. 

J’étais obligée tous les jours de prendre l’autorisation de la police pour aller à la pharmacie et acheter des médicaments pour mon père malade. Un sentiment terrible d’injustice et d’humiliation me prend à chaque fois que je passe au commissariat pour avoir l’autorisation d’aller faire des courses ou pour sortir de chez moi… 

La famille ? Mes deux frères étaient harcelés et poursuivis par la police à chaque fois qu’ils viennent me visiter. Finalement, on a cédé et j’ai passé 6 ans sans les revoir … les cousins, oncles et tentes trouvaient le même sort et finissaient par abandonner l’idée de nous rendre visite ou de nous téléphoner …  

Mon quartier ? De peur d’être menacée ou ennuyée par la police, personne ne pouvait même m’adresser la parole ou contacter ma famille. Personne ne pouvait nous aider sachant que nous étions sans source fixe d’argent. Nous étions isolés, seuls et entourés par la police politique même dans nos chambres. 

Le jour de mon mariage, j’étais obligée de le fêter seule avec mon mari et quelques membres de ma famille. Sans amis, ni proches, ni voisins, j’étais obligée de cacher ma joie d’avoir, enfin, une famille …
Le pire jour de ma vie était celui de mon accouchement. Au lieu d’aller directement à l’hôpital comme le font toutes les futures mamans, moi j’étais en train d’avaler ma douleur devant le bureau du commissaire. Il est venu en retard et m’a donné la maudite autorisation … pour aller accoucher … pour donner naissance à ma fille ! 

Des larmes jaillissent de ses yeux et des soupires envahissent toute la salle remplie de femmes connaissant ce sentiment intime d’accoucher du premier bébé. 

Zeineb continue avec, cette fois, une voix étouffée : bien sur que je n’avais pas le droit de fêter la naissance de mon premier bébé. Bien sur que j’étais obligée d’aller au commissaire juste après l’accouchement pour signer … et bien sur que la souffrance a duré avec la même intensité durant des années …
Après la chute du dictateur (elle refuse de prononcer son nom), je pensais que ma souffrance a pris fin. La police a disparu de ma vie et de celle de ma famille… 

Et j’ai postulé pour le poste d’instructrice que j’avais avant la prison. Ma demande est refusée, sous prétexte que j’ai dépassé les 35 ans… c’est vrai ! Mais mes vingt ans se sont écoulés dans la prison de la dictature. J’ai payé cher le silence affreux du peuple !!
Comment voulez vous que je reprenne ma liberté sans travail ? Comment concevez-vous la liberté sans dignité ? 

Zeineb regarde la foule en souriant. Je ne suis pas ici pour me déplorer ou pour prétendre que je suis héroïne. Il y a des femmes qui méritent ce titre bien plus que moi … je suis ici pour vous dire qu’aujourd’hui, il ne faut plus se taire !! Aujourd’hui, il faut plus laisser la voix au seul discours et la seule opinion !! Aujourd’hui, nous devons être fières de notre liberté et nous devons l’assumer et la défendre … vive la Tunisie libre !! » 

Des applaudissements et des larmes. Elle ne voit plus les visages en face … seulement les yeux de ses deux petites filles au fond de la salle l’interpellent. Elle essuie ses larmes discrètement et avance. Elle ne reconnait pas les voix qui l’appellent et les mains qui tapent sur ses épaules … elle ne voit plus rien et avance doucement vers les deux petits visages innocents … elle les prend entre ses mains, enfonce sa tête contre eux et pleure … 

Un quart d’heure après, l’ambiance se détend et on oublie Zeineb qui reste immobile au fond de la salle. Quelques minutes après, elle quitte la salle … dégoutée par les quelques mots de solidarité, les applaudissements et la pitié de la salle.   

3 commentaires:

  1. pour l'indifférence des femmes présentes. pour la pitié qu'elle en a pas besoin ... pour les mentalités qui changent pas et l'absence de volonté de changer rien que notre perception vis à vis du monde.
    Zeineb est une femme qui a sacrifié sa vie, elle l'a fait pour des valeurs et elle sacrifie toujours ... si tu lis bien les dernières paragraphes tu vas constater comme Zeineb que rien n'a changé

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  2. Je suis surprise de savoir que l'indifférence était au rendez vous...Comment peut on être indifférent devant un tel témoignage? En lisant ton texte, je me suis vue dans cette salle écoutant admirative cette grande dame qui a donné de sa vie...qui a donné ce qui lui était le plus cher...ses années de jeunesse...Je suis triste pour elle et triste pour mon pays aussi...Triste de savoir qu'il nous faut plus qu'une révolution pour changer les mentalités...Merci Henda de partager ces moments...douloureux mais hélas réels !

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