vendredi 4 mars 2011

Zarzis en colère


« La Tunisie n’est pas seulement Tunis » nous dit un jeune, que nous avons rencontré à Zarzis (Sud de la Tunisie), pour exprimer sa colère contre la politique du gouvernement provisoire qui ignore toujours les villes de l’Intérieur. Ce jeune était dans le navire détruit, la semaine dernière, lors d’une tentative d’immigration clandestine vers L’Italie. Il s’appelle Anas, 24 ans, chômeur et diplômé d’un institut de tourisme privé. Dans ce même navire, qui a transporté 120 personnes, 85 personnes ont pu être sauvé, cinq personnes  sont mortes et plus que trente sont, jusqu’à ce jour, portées disparues. « C’est une catastrophe ! La grade côtière a tué nos enfants » crient les habitants de Zarzis.

L’histoire ne date pas d’aujourd’hui. En effet, Zarzis a une longue histoire avec l’émigration clandestine. La majorité des familles compte au moins un membre installé en Europe à travers une émigration clandestine. Mais le mouvement d’émigration clandestine s’est activé, remarquablement, ces dernières semaines. Juste après la chute du régime Ben Ali, et en profitant de l’absence de la sécurité côtière, les navires et bateaux transportant des passeurs tunisiens se sont multipliés. Le nombre des tunisiens arrivants au territoire italien a atteint les 5 milles dans quelques semaines.

« La police est au courant de tout depuis des semaines » affirme Mohamed, le père de du plus jeune passeur, disparu, (lycéen, 17 ans). Des dizaines de rescapés ont tous donné le même témoignage « à quelques kilomètres de l’Italie, un bateau de la garde nationale nous a donné l’ordre d’arrêter les moteurs. Quand nous avons obéi, il a foncé sur nous ». Selon les témoignages, en presque 3 minutes, le navire s’est brisé en deux et plusieurs ont retrouvé la mort sur le champ. « Nous avons essayé de joindre le bateau de la garde nationale mais il s’est éloigné … les policiers ont refusé de nous sauver. Quelques uns nous ont frappés. Ils nous ont menacé et mêmes interdit de monter au bateau ».
Juste après le choc, la garde nationale a remarqué la présence d’un hélicoptère italien. «  En voyant l’hélicoptère italien, ils ont commencé à nous aider … c’est grâce aux étrangers que nos frères tunisiens n’ont pas fini par nous tuer tous » se rappelle Anas du drame avec amertume.

Le jour même, les jeunes de la ville publient sur facebook des vidéos relatant les faits du drame. Après quelques jours de polémique dans la presse tunisienne et étrangère, le gouvernement publie un communiqué disant que le navire a essayé de fuir et que le choc n’était qu’un accident. Elle a ajouté, sans précision, que des investigations sont en cours.

Mais les familles des disparus ne croient plus aux explications et promesses du gouvernement. Après quelques jours d’attentes, une manifestation a eu lieu au centre ville. « Je veux voir mon fils mort ou vivant » nous dit une mère en pleurant. « J’ai vendu mes bijoux pour que mon fils puisse aller en Italie … je ne comprends pas pourquoi la police l’a tué » ajoute la dame.

Depuis l’accident, Mohamed (père de famille et chômeur) essaye en vin, de contacter les autorités. «  Mon fils a 17 ans, j’ai pas pu l’empêcher d’aller avec ses amis et son oncle … C’est son droit de rêver d’un meilleur avenir… » Nous a confié le père encore sous le choc. « Je ne lâcherais pas l’affaire, les assassins doivent être jugés » ajoute –t-il après un long silence.

« Le bateau El Horria 203 a fait exprès de foncer sur nous. La police était agressive et elle nous a même menacé en disant qu’elle a le droit de nous tuer… nous demandons qu’une seule chose, une vraie enquête et un procès qui nous rend notre dignité » a clamé Sami, un jeune passeur sous les applaudissements des manifestants.     

A Zarzis, l’émigration clandestine fait partie du quotidien. Les jeunes ne rêvent que de « brûler » avec souvent le soutien des parents. « La pauvreté et le chômage  ne nous laissent pas le choix » explique Anas. « Mon fils a 25 ans et n’arrive pas à s’acheter un pantalon et des chaussures. C’est pour ça, qu’il a choisi de quitter » nous a confié une mère qui attends le cadavre de son fils.
 
Les habitants de Zarzis sont en colère. D’après la majorité, le silence du gouvernement prouve que le système Ben Ali est encore là. « ce gouvernement provisoire ne cesse de nous décevoir» nous affirme Ali Falah, activiste et militant politique. « Plusieurs jours sont passés et aucun responsable n’est venu nous voir sur place. Le gouvernement est indifférent et c’est pour cette raison que nous le refusons» ajoute Ali. A l’aide d’une élite crédible, ce jeune a réussi à fonder  un comité régional de la révolution qui remplace provisoirement le conseil municipal et qui essaye d’avancer en matière de développement durable.

Zarzis est aussi en colère contre les médias tunisiens qui, selon nos interlocuteurs, « manipulent l’opinion public en nous montrant comme des terroristes ou des traitres ». Les habitants ont surtout critiqué les déclarations de la militante Siheme Ben Sidrine qui pense que les baraques qui ont emmené les jeunes à Lampedusa sont libyennes et financés par Leila Ben Ali pour semer le trouble dans le pays. « Ce n’est pas vrai. Les baraques sont tunisiennes et les passeurs ne sont manipulés par personne » nous ont assuré les jeunes passeurs.

« Le silence et l’indifférence ne peuvent qu’aggraver la situation, non seulement à Zarzis mais aussi à toutes les régions de l’intérieur du pays » nous explique Ali Falah en critiquant le gouvernement provisoire. Parait que ce dernier n’a pas encore compris que la révolution tunisienne ne concerne pas seulement Tunis mais toute la Tunisie. Et peut être que pour cette raison des caravanes de liberté, venues de plusieurs villes du Sud, sont venues ce soir, samedi 19 février, à Tunis. Après quelques semaines d’attente, les comités de la protection de la révolution ne font plus confiance au gouvernement et demandent sa démission.

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